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danielle kaisergruber

Exit 2015. Une année que l’on voudrait pouvoir oublier. Justement il ne le faut pas : elle est riche de leçons du côté de ce que l’on appelle maintenant l’urgence économique et sociale. Derrière la violence et la radicalité du refus de nos sociétés, derrière l’affirmation d’opinions extrêmes, on sait qu’il y a la marque terrible du chômage de masse. L’absence de travail, d’activités, de perspectives est destructrice. Derrière les votes, les cartes montrent d’anciens bassins industriels, des petites villes, que l’activité économique n’a pas reconquis, les espaces ingrats de l’étalement urbain, des jeunes qui ne trouvent pas leur place dans un pays pourtant riche.

Faut-il de nouveaux « plans » ? de nouvelles « mesures » ? de nouvelles « aides » ? « plus de dispositifs » ? Il se dit ici ou là dans les ministères que « rajouter une couche » n’est pas la solution. D’autant que les gouvernants tirent rarement les enseignements des analyses et des évaluations qui sont faites par de nombreux instituts, services d’étude, chercheurs, ou tout simplement par les acteurs sur le terrain. Les mesures de la politique de l’emploi, pourtant nombreuses et représentant des masses d’argent public importantes, ne profitent généralement pas à ceux qui en auraient le plus besoin. La formation va à ceux qui sont déjà bien formés et le plus souvent diplômés, les contrats d’avenir se sont surtout développés dans le secteur public où ils servent de marges de manœuvre en période de rigueur budgétaire et ne débouchent pas sur des emplois stables (voir Metis, Wenceslas Baudrillart, Et si on égalisait les avantages des contrats aidés entre le secteur non marchand et marchand, 20 oct 2015).
De plus, ils concernent faiblement ceux pour lesquels ils ont été conçus : les jeunes peu qualifiés ou sortis trop vite du système scolaire dans les quartiers difficiles. Il faudrait d’urgence les développer dans le privé, mais les entreprises ne jouent pas le jeu puisqu’elles trouvent tout ce qu’elles veulent sur le marché du travail…Alors pourquoi pas une politique de quotas de jeunes? Une nation qui n’est pas capable de s’occuper de ses jeunes est indigne de ce nom. Les jeunes « des quartiers » sont discriminés, tout le monde le sait mais on se refuse toujours à le mesurer. Une loi sur les discriminations a bien été adoptée en 2001, puis une loi pour l’égalité des chances en 2006, après les émeutes. Mais aujourd’hui, 17% des bac+5 issus des zones urbaines sensibles sont au chômage trois ans après l’obtention de leur diplôme, contre 9% pour les autres (Liaisons Sociales Magazine, décembre 2015). La politique de la ville n’associe pas assez les habitants et rate la plus part de ses objectifs. Et si on arrêtait de faire des lois de circonstance, à visée politicienne et répondant à des postures dans le jeu de rôle sans fin de la politique ?

Et si on essayait de penser à l’envers ? Non pas fabriquer des mesures, des dispositifs pour « mettre les gens dedans» (dans les ministères sociaux on utilise cette horrible expression « les publics » !), mais pouvoir dire « ayez des projets, on se débrouillera pour les appuyer, les accompagner et bien sûr les financer, du moins au début ». Car des initiatives, et des projets, et des envies de faire, il y en a. Et il peut y en avoir de plus en plus. En somme un gigantesque Appel à projet ! Récemment au Danemark, soucieux de la très forte montée du chômage, et surtout du chômage de longue durée, un groupe de travail officiel a dénoncé l’usage de « mesures pour les mesures » (meaningless activation) pour mettre le demandeur d’emploi lui-même au cœur des démarches.

En 2016, vous trouverez sur le site et dans les dossiers de Metis de nombreux articles et documents sur des initiatives citoyennes, des actions portées par des territoires, des entreprises et des groupes divers et variés d’acteurs. Ces projets visent l’emploi, mais aussi l’entrepreneuriat sous toutes ses formes et le développement d’activités qui ne rentrent pas toujours dans l’enveloppe de l’emploi classique. Vous y trouverez bien d’autres choses encore et nous remercions chaleureusement les lecteurs, nombreux, qui nous ont apporté leur appui financier et leur soutien en novembre et décembre.
Merci à tous donc, et très bonne année !

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.