Le robot a été (est encore ?) une figure de la science-fiction. C’est que le robot parle à notre imaginaire. Petit droïde ou grand manipulateur avec des bras dotés d’une force gigantesque, il possède une forme physique, il occupe l’espace rationnel et pensé de l’usine du futur, ou les espaces vierges et hostiles de la conquête spatiale. Il fait image.
Se souvient-on que le mot « robot », venu de la langue tchèque signifie « travail, corvée » : les pérégrinations du mot commencent en 1921 avec la pièce R.U.R. pour Rossum’s Universal Robots de Karel Capek. Il sera vite adopté aux Etats-Unis. Cette signification du mot robot = travail révèle une conception ancillaire : le robot est le travailleur (idéal ?), le serviteur, celui qui effectue les tâches ingrates, lourdes, difficiles dont les hommes pourront désormais être exonérés, « maintenant que l’homme dispose de créatures pour l’aider »… On n’est pas très loin d’une définition du robot comme un esclave et les nouvelles qui composent le livre célèbre d’Isaac Asimov Les Robots (1950) jouent toutes sur la dialectique du maitre et de l’esclave.
La Préface d’Asimov est bien intéressante : il nous conte d’abord l’histoire du poète anglais Shelley dont la femme (enlevée alors qu’il était déjà marié…) se met à écrire un roman fantastique auquel personne ne croit, et surtout pas le poète. Mais la créature échappe à son mari et Mary Wollstonecraft laisse à la postérité le récit et le personnage Frankenstein, l’histoire d’un jeune étudiant en anatomie qui invente une créature de toutes pièces, une créature qui va le détruire. Les robots, infatigables petits travailleurs, se mettent à un moment ou à un autre à « dysfonctionner », ils s’éloignent de la liste des tâches qui leur sont prescrites et échappent toujours par quelque côté à leur créateur ou aux ingénieurs qui doivent les faire fonctionner et qu’ils appellent bien sûr « maître ». « Des robots étaient créés et détruisaient leur créateur » : en regard de ce paradigme de la science-fiction, les robots de l’ « usine du futur » semblent bien tranquilles et d’une belle application zélée et mécanique.
C’est que le gros robot industriel mono-tâches n’est plus la figure de proue de la « révolution numérique ». L’ « Usine du futur » ou l’ « Industrie 4.0 » ( sur lesquelles Metis va revenir dans plusieurs dossiers) est peuplée d’une multitude de « petits robots », dont le coût a beaucoup baissé, et qui, en combinant leurs activités avec celles des hommes (et vice-versa) sont devenus des « cobots », compagnons de travail des hommes et non plus esclaves qui laissaient les hommes à leur ennui.
Mais surtout la figure essentielle du « robot » est devenue l’algorithme, longue chaine de raisonnements de l’Intelligence Artificielle. Il n’a plus figure concrète, il a du mal à alimenter nos imaginaires, mais il est infiniment plus présent que le robot industriel. Il engage sans doute la transformation de secteurs entiers de nos économies tertiaires dominées par le « travail de bureau ». Nombre de livres et de rapports aux Etats-Unis (Brynjolfsson et McAfee, The Second machine age), en Allemagne (Rapport Roland Berger), en France (Rapport Mettling, voir Metis…) détaillent avec plus ou moins de rigueur les métiers qui seront concernés par la désintermédiation (métiers du tourisme, des secteurs financiers, voire de la santé), par l’automatisation d’activités routinières (la production d’actes juridiques, la rédaction des articles de la presse sportive !…). Les « nouvelles appli » que nous découvrons jour après jour relèvent de cette transformation et de cette place nouvelle du numérique dans nos vies. Il y a là quelque chose de très important par rapport au monde du travail et des entreprises. La plupart de ces nouveaux usages nous arrivent par la vie domestique, quotidienne, relationnelle (les réseaux sociaux) et ils s’infiltrent dans la vie de travail. Par tous les bouts. C’est pourquoi il n’y a pas aujourd’hui dans une entreprise coupure entre un avant et après, c’est pourquoi la notion encore présente dans le Code du travail « d’introduction de nouvelles technologies » a en partie perdu son sens avec le numérique. Ce que permet (mais cela n’a rien d’automatique !) la révolution numérique dans le travail : un accès plus ouvert à de nombreuses données, une grande rapidité d’information et de communication, la facilitation des échanges et du travail collaboratif, davantage de souplesse dans la gestion du temps de travail…tout cela se développe chaque jour un peu plus, ou un peu moins, au gré de la qualité du management, au prétexte de l’arrivée de quelques salariés plus jeunes…ou venant d’une PME plus « agile » comme l’on dit…Les procédures très formelles de consultation des représentants du personnel ne sont pas faites pour cet univers en mouvement permanent, pour ces nouvelles applications et possibilités que qu’on transporte de la maison au bureau, parfois même avec son propre ordinateur. Et c’est ainsi qu’une grande partie de ce que la révolution numérique change dans le travail échappe au dialogue social qui aime les situations carrées, le télétravail par exemple. Alors que le professionnel déborde sur les espaces et les temps du personnel et que le non professionnel s’infiltre dans les situations de travail.
Robots et algorithmes seront-ils nos meilleurs amis pour lutter contre le chômage, inventer de nouvelles activités et de nouvelles façons de travailler ? Comme souvent, rien n’est joué.
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