7 minutes de lecture

par Tamás Gyulavári , Claude Emmanuel Triomphe

Comme la Pologne, la Hongrie fait beaucoup parler d’elle et suscite bien des inquiétudes en Europe. Tamás Gyulavári est professeur de droit du travail à l’Université catholique Pázmány de Budapest et explique pour Metis en quoi consistent la politique et les mesures prises par le gouvernement de Viktor Orbàn en matière de travail et d’emploi.

 

Hungary


Comment caractériser les partis de droite hongrois vis-à-vis des questions du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale ? Qu’est-ce qui les différencie des anciens partis de gauche ?

Le Fidesz est le principal (voir le seul) parti de droite dans le pays depuis une quinzaine d’années. Il y avait quelques partis minoritaires de droite, mais ils ont peu à peu disparu au cours de la dernière décennie. Le Fidesz a remporté les élections de 2010 ainsi que celles de 2014, à chaque fois à la majorité qualifiée, qui a été perdue par le parti en 2015.

Actuellement, il lui manque un député pour atteindre une majorité des deux tiers, il a donc besoin de l’opposition pour les lois nécessitant un vote à la majorité qualifiée. Il y a aussi un parti d’extrême droite, Jobbik, qui n’a rien annoncé de particulier concernant les problématiques liées à l’emploi.

Le Fidesz avait un programme électoral pour 2010, comme pour les précédentes élections. Cependant, il n’en a annoncé aucun pour celles de 2014. Le programme du parti a été présenté par le Premier ministre Viktor Orbán avec pour seul mot d’ordre: « On continue ! ». Par conséquent, les orientations en matière de politiques de l’emploi sont lisibles uniquement au travers d’anciennes ou de très récentes mesures gouvernementales.

En règle générale, le gouvernement a été plutôt actif dans ce domaine, notamment depuis que Orbán a annoncé en 2010 un glissement du « welfare » au « workfare ». Il s’est aussi donné pour objectif principal de créer un million de nouveaux emplois en dix ans. On partait de 3,8 millions de travailleurs en 2010, ce qui était alors le deuxième plus faible taux d’emploi de l’Union européenne.

Le deuxième gouvernement Orbán, depuis 2010, a apporté de nombreux changements en ce domaine par rapport au premier (1998-2002) et aux précédents gouvernements socialistes et conservateurs. « Non orthodoxe » est le mot clé de cette gouvernance depuis qu’elle a mis en place des mesures ayant pour visée de rompre avec le vieux dogme soi-disant de « politiques orthodoxes libérales » datant de 1990.

 

Quelles sont les principales mesures de la politique d’emploi du gouvernement Orbán ?
Il s’agit, au travers des mesures suivantes, de créer un million d’emplois :
Taux forfaitaire de l’impôt sur le revenu (16 %), bien en deçà des précédentes taxes sur le revenu. Mais la taxation globale qui pèse sur l’emploi reste toujours très élevée, elle est de 20 % supérieure à celle de la Slovaquie par exemple. En outre, ce taux forfaitaire favorise les salariés à haut revenu au détriment des autres, ce qui creuse les inégalités sociales et n’a que des effets peu importants sur la création de nouveaux emplois.

– Orbán avait en vue de créer le  » Code du travail le plus flexible au monde « . Heureusement, le nouveau Code du travail en est encore loin, mais il devient plus flexible à mesure que diminuent la protection des salariés et les droits des syndicats : la régulation du temps de travail est devenue beaucoup plus flexible et avec elle le paiement des heures supplémentaires, la protection contre les licenciements abusifs a été réduite (avec un seuil de 12 mois pour la perte de revenu) et la responsabilité des employeurs en matière de risques a été limitée.

– Les personnes sans emploi sont dorénavant poussées par tous les moyens à accepter de réaliser des travaux publics pour un salaire mensuel de 200 euros. Depuis les élections, il y a eu entre 200 et 300 000 bénéficiaires de ce type de mesure, ce qui a immédiatement et remarquablement gonflé les statistiques de l’emploi. Pour autant, il s’agit là d’un véritable piège à emplois précaires, car seuls quelques « travailleurs publics » ont par la suite pu entrer sur le marché du travail en trouvant un « vrai » travail.

Le taux d’emploi a certes considérablement augmenté – le nombre de salariés passant de 3,8 millions en 2010 à 4,3 millions en 2014 – mais il faudrait en déduire les 200 à 300 mille travailleurs publics et les autres centaines de milliers travaillant dans d’autres États membres (à Londres, Berlin, Vienne,…).

Dans le domaine de la sécurité sociale, le mot clé est austérité. L’équilibre du budget a été réalisé par une mesure très peu orthodoxe : la nationalisation de tous les fonds de pension privés. Ainsi, la reprise des actifs de ces fonds de pension dans le budget de l’État a représenté 3 milliards d’euros en 2011. Cette mesure a réorienté aussi une somme annuelle considérable dans le budget central des cotisations de retraite des salariés.

Le gouvernement Orbán a, par ailleurs, introduit des mesures liées à l’emploi très impopulaires et internationalement débattues comme l’âge obligatoire de cessation d’activité pour les juges (passant de 70 à 62 ans), une taxe rétrospective de 98 % sur les indemnités de départ, des ruptures de contrat sans motif dans le secteur public. La Cour de Justice de l’Union européenne ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme se sont impliquées dans le débat, sans pour autant mettre en place de réelles sanctions.

Quelle est la politique de ces partis au regard des syndicats, des négociations collectives et des droits collectifs ?
Le mouvement syndical est fragmenté en cinq confédérations nationales et est traditionnellement proche du parti socialiste. C’est pourquoi le Fidesz s’est efforcé d’affaiblir leurs droits statuaires collectifs dans le nouveau Code du travail. Celui-ci a, en effet, vu diminuer les droits des syndicats. La protection juridique contre le licenciement est prévue non pas pour tous les représentants syndicaux (comme dans le code de 1992), mais seulement pour un minimum de 2 et un maximum de 6 par établissement (en fonction du nombre d’employés sur le lieu de travail). Les salariés représentés par le syndicat se voient accorder une réduction plus courte de la durée du travail, d’une heure pour 2 adhérents au syndicat. De cette façon, si le syndicat compte 200 membres par employeur, ses membres ont droit à 100 heures supplémentaires par mois.

La promotion de la négociation collective semble cependant être la seule exception à cette tonalité anti-syndicale. La nouvelle loi a voulu générer la conclusion d’un plus grand nombre d’accords collectifs en permettant de déroger librement (in pejus et in melius) au Code du travail. Pourtant, en parallèle, les syndicats ont été affaiblis concernant l’adhésion et les droits statuaires, et sont devenus plus pauvres qu’ils ne l’ont jamais été. Sans surprise, les dernières statistiques montrent la diminution de la couverture conventionnelle qui est passée de 33 % en 2009 à 21 % en 2015. Ainsi, bien que les syndicats et les négociations collectives aient toujours été faibles, cet affaiblissement s’est encore renforcé.


Et que dit la droite hongroise sur les nouvelles formes de travail (développement des plates-formes numériques, travail en freelances etc….) ?

Le premier projet de nouveau Code du travail proposait une définition et la protection du travail dépendant. Malheureusement, les partenaires sociaux ont critiqué cette proposition, et le gouvernement a alors supprimé cet article du projet. Ainsi, le cadre juridique actuel reste basé sur un modèle classiquement binaire de l’emploi, avec des relations de travail salariales d’une part, et des relations commerciales de service dans le cadre du droit civil des contrats d’autre part. Pourtant, le travail indépendant et le travail en freelance comme salariat déguisé sont un phénomène assez répandu dans l’économie hongroise.

Quant au crowdsourcing, l’interdiction légale de Uber – que le législateur a justifié pour des questions fiscales – a été la seule étape juridique dans ce domaine jusqu’en 2016.


Quels sont les derniers développements intéressants ?

Comme je l’ai mentionné ci-dessus, de nombreux Hongrois ont quitté le pays depuis l’éclatement de la crise financière, en direction principalement de Londres, Dublin, de l’Allemagne et l’Autriche. Les chiffres sont assez vagues, mais on estime que ça représenterait entre 200 000 et 500 000 personnes, ce qui est beaucoup pour un pays de 10 millions d’habitants et 4 millions de travailleurs. Cette migration a remarquablement contribué à l’absence progressive de main-d’œuvre qualifiée en Hongrie. À l’heure actuelle, le manque de main-d’œuvre et le chômage structurel représentent les principaux problèmes du marché du travail hongrois.


Pour en savoir plus :
– Metis,  » Hongrie : le salut par les travaux publics ? « , par Tamas Molnar, 13/03/2016

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.

+ posts

Haut Commissariat à l'engagement civique