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par Françoise Amat, propos recueillis par Jean-Raymond Masson

A l’heure d’une nouvelle réforme de la formation professionnelle dans la perspective d’une « flexisécurité » à la française, l’étude de l’Association française pour le développement de l’enseignement technique (AFDET) apporte des éclairages précieux. En partant de l’introduction des blocs de compétences, elle se penche sur les réponses apportées par les certificateurs et interroge la diversité des ingénieries mises en œuvre. Françoise Amat, Vice-présidente de l’AFDET et ancienne Secrétaire générale du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNLPTLV, devenu CNEFOP) livre pour Metis les grandes lignes de ce travail.

 

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La notion de « blocs de compétences » a été introduite dans la Loi du 5 mars 2014 qui crée le compte personnel de formation (CPF) ; qu’est-ce qui justifie cette innovation ?

La mise en place du CPF correspond à la volonté des partenaires sociaux et du législateur de permettre à chaque individu de « progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle » (article L 611-1 du Code du travail). Dans cette perspective l’objectif pour l’individu est d’acquérir une certification complète, soit dans son domaine d’activités, soit en vue d’une reconversion professionnelle, ce qui est impossible dans le cadre des 120 heures de formation cumulées au bout de 5 ans de travail (ou de 150 heures au bout de 8 ans), et nécessite donc une démarche d’acquisition progressive, bloc après bloc. C’est pourquoi la loi prévoit que les formations éligibles au CPF doivent être sanctionnées par une certification enregistrée au Répertoire français des certifications professionnelles ou « une partie identifiée de certification professionnelle classée au sein du Répertoire et visant l’acquisition d’un bloc de compétences ». Cette disposition s’inscrit dans la poursuite d’un processus engagé avec l’introduction de la validation des acquis de l’expérience (VAE) au début des années 2000 et des expérimentations conduites notamment par le Ministère du Travail et l’AFPA avec le Fonds d’assurance formation du travail temporaire (FAF-TT) dans le cadre de la loi de modernisation sociale de 2002.

 

Qu’est-ce qui différencie les blocs de compétences des unités capitalisables sur lesquelles les diplômes de formation professionnelle étaient bâtis depuis plus de 30 ans ?


Les unités capitalisables sont constituées en référence à des programmes de formation. Dans les blocs de compétences, on se situe désormais, comme l’indique la loi, sur « une partie » de certification. De fait, la VAE avait déjà beaucoup contribué à faire évoluer l’approche de la certification en introduisant le principe que ce sont les compétences qui sont validées et non plus les connaissances acquises par la formation. Ceci a permis d’introduire la distinction entre le référentiel d’emploi (qui résulte de l’analyse des activités), le référentiel de certification (qui définit les compétences à prendre en compte dans le cadre du contrôle des acquis) et le référentiel de formation (qui définit les contenus de formation à délivrer).

Où en est-on aujourd’hui ? Comment les « certificateurs » se sont-ils emparés des blocs de compétences ?

Tous les certificateurs se sont mis au travail et ont entamé la réécriture de leurs diplômes, titres ou certificats selon la logique des blocs de compétences : les ministères de l’Éducation nationale (décret de juin 2016 portant sur les CAP, Bac pro et BTS présentés par la VAE et la formation continue), l’Enseignement supérieur, le Travail (arrêté de décembre 2015), l’Agriculture (décret de juin 2015), les Affaires sociales, la Jeunesse, éducation populaire et sports (décret d’avril 2016)), les branches professionnelles, les chambres de commerce et d’industrie et les organismes privés. La plupart se sont saisis de cette opportunité pour entreprendre une réflexion sur leurs certifications, voire pour envisager une évolution de leur dispositif.

 

Le processus d’identification des blocs est plus ou moins avancé selon les cas, mais on constate une grande hétérogénéité d’approches et de découpage des certifications entre les certificateurs. Ainsi, il n’y a pas toujours concordance entre les unités découpées : dans certains cas les blocs établis à partir du référentiel d’emploi sont éclatés entre plusieurs unités de certification ; dans d’autres cas, certaines unités de certification regroupent plusieurs blocs du référentiel d’emploi. Par ailleurs, le vocabulaire diffère d’un certificateur à un autre.


A quoi tiennent ces différences d’approches ?

Une première différence tient à la place prise par les compétences générales. Pour certains certificateurs, elles sont intégrées à des compétences techniques au sein de chaque bloc tandis que d’autres, en particulier les ministères de l’Éducation nationale et de l’Agriculture préfèrent identifier des blocs de compétences générales à côté des autres blocs. Plus fondamentalement cela traduit la différence entre les certifications visant l’adaptation à l’emploi (titres professionnels du ministère du Travail, certificats de qualification professionnelle [CQP], titres consulaires), et celles à double vocation d’éducation et de qualification tels les diplômes de l’Éducation nationale, de l’Agriculture, de la Santé et de la Jeunesse et sports.

 

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Une seconde différence tient à la conception même du bloc de compétences. La loi l’a défini comme une partie identifiée d’une certification, et dans leur ensemble, les certificateurs maintiennent l’objectif d’utiliser ces blocs dans des démarches visant l’obtention d’une certification complète. Le bloc serait reconnu et validé, sans être certifié. Pour l’éducation nationale, une circulaire d’octobre 2016 concernant la VAE précise que la reconnaissance des blocs prend la forme d’une attestation valable pendant 5 ans. Cependant une certaine logique d’autonomisation des blocs sous forme de certificats émerge comme en témoignent les Certificats de compétences professionnelles (CCP) qui correspondent à la validation partielle des titres professionnels du ministère du travail.

La troisième relève des profondes différences entre les certificateurs en matière d’ingénierie de certification.


Peut-on donner des exemples de découpage en blocs de compétences ?

La fiche du titre professionnel du Ministère du Travail « Manager d’univers marchands » comporte trois blocs correspondants chacun à un CCP : (1) Développer la dynamique commerciale d’un univers marchand ; (2) Gérer les résultats économiques d’un univers marchand ; (3) Manager l’équipe d’un univers marchand.

 

Au lieu de 10 unités auparavant, le brevet professionnel de la Jeunesse, de l’éducation populaire et des sports comporte deux spécialités « Animateur » et « Éducateur sportif » avec aujourd’hui deux unités transversales (encadrer tout public dans tout lieu et toute structure ; mettre en œuvre un projet d’animation) et deux unités spécifiques à chaque spécialité (conduire une séance, un cycle d’animation ou d’apprentissage ; mobiliser les techniques pour mettre en œuvre une séance, un cycle d’animation ou d’apprentissage).

 

Quant au CAPA Opérateur des industries agroalimentaires du Ministère de l’Agriculture qui présente deux options : conduite de machines et transformation de produits alimentaires, le référentiel de certification est constitué d’une liste de capacités structurées selon deux registres : des unités de capacités générales identiques pour toutes les spécialités du CAPA (UCG1 : Agir dans des situations de la vie courante à l’aide de repères sociaux ; UCG2 : Mettre en œuvre des actions contribuant à sa construction personnelle ; UCG3 : Interagir avec son environnement social) et des unités de capacités professionnelles, spécifiques à chaque option (UCP1 : Organiser le poste de travail en fonction de l’ordre de fabrication ; UCP2 : conduire en sécurité des machines ou des installations mécanisées ou automatisées [option conduite de machines] et réaliser en sécurité des opérations de fabrication et de conditionnement des produits [option transformation de produits alimentaires] ; UCP3 : assurer l’hygiène et la sécurité sur le poste de travail).

Qu’en est-il des CQP et de l’attitude des branches professionnelles à l’égard des blocs de compétences ?

Avec les réformes introduites dans la loi de 2009 relative à l’orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie, les branches professionnelles sont appelées à jouer un rôle essentiel en matière de certification, de formation et de sécurisation des parcours professionnels. Dans ce contexte, les CQP se multiplient selon des logiques extrêmement différentes d’une branche à une autre.

D’ores et déjà, un certain nombre de branches, à titre d’exemples l’UIMM et la Fédération des entreprises de propreté [FEP], ont entrepris de découper leurs CQP en blocs de compétences. Mais on se heurte à la très grande diversité des ingénieries de certification entre les différentes branches, voire au sein d’une même branche. On verra plus loin qu’un effort est actuellement entrepris par les partenaires sociaux dans le cadre du COPANEF pour tenter de réduire cette diversité.

L’introduction des blocs de compétences intervient à un moment clef qui pourrait contribuer à un émiettement du système de certification, mais aussi à une plus grande rationalité si des mesures appropriées sont prises en concertation entre les parties prenantes.

Comment appréhender ces changements du point de vue du parcours professionnel de l’individu ?

Dans le cas des demandeurs d’emploi et des salariés peu qualifiés cherchant l’acquisition de titres du ministère du Travail, les blocs de compétences organisés sous forme de CCP ont démontré leur utilité en ce qu’ils permettent de gravir progressivement les « marches » pour monter en compétence et obtenir à terme une qualification complète. Mais ceci se passe dans le cadre d’un système unique de certification, celui du ministère du Travail. Je donne un exemple : dans les années 2000, en s’appuyant sur l’identification de blocs de compétences communs entre certains titres professionnels des industries textiles et d’autres de l’automobile, on a pu favoriser la reconversion de conducteurs de machines textiles en conducteurs de certains processus de fabrication de l’industrie automobile, en combinant formation continue et validation des acquis. Si ces actions de reconversion ont été possibles, c’est parce que les référentiels de certifications des titres relevant de ces deux secteurs étaient bâtis selon la même ingénierie ; sans quoi, ce n’aurait pas été possible, sauf à organiser un système complexe d’équivalences et de passerelles.

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La situation est beaucoup plus difficile pour celui qui tente le passage entre blocs relevant de catégories différentes [diplômes, titres, CQP]. Dans l’état actuel des choses, les risques d’émiettement et de fragmentation des certifications existent avec pour conséquence la perte des repères pour les individus et pour les employeurs, et l’avènement d’un marché de la certification avec pour corollaire la démonétisation/dévalorisation de la certification sur le marché du travail. Ce serait passer à côté des objectifs de la loi du 5 mars 2014. Ce serait ignorer les besoins massifs de reconversion des travailleurs licenciés suite aux transformations de plus en plus rapides du tissu économique.


Peut-on échapper au risque de fragmentation ?

On constate déjà que la transversalité gagne du terrain et que le découpage en blocs y contribue. On l’a vu ci-dessus avec la redéfinition des référentiels des brevets de la Jeunesse, de l’éducation populaire et des sports.

 

Par ailleurs, une démarche d’identification de blocs communs à plusieurs branches construits de façon homogène, y compris de la création de CQP interbranches, a été lancée récemment sous l’impulsion du Comité observatoires et certifications [COC] du COPANEF [Comité paritaire national emploi formation]. Un point de vue identique est défendu dans un rapport du Comité économique, social et environnemental [CESE] publié en septembre 2016. Les questions posées sont celles de la mobilité, de l’aide au parcours professionnel, de la reconversion. Elles concernent au premier chef la politique du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels [FPSPP] en matière d’accompagnement et de formation des individus en congé individuel de formation [CIF] et plus particulièrement en CIFCDD.

 

C’est également dans la perspective d’aider les publics peu qualifiés à réussir leurs parcours que les partenaires sociaux ont créé le certificat CLEA [socle commun de connaissances et de compétences professionnelles], qui peut constituer un préalable pour accéder à un CQP.

Peut-on imaginer un système d’équivalence généralisé ?

Je pense que ce serait une erreur de penser qu’il n’existe qu’un type de certification. Il convient de distinguer le système des diplômes qui restent très axés sur la double finalité poursuite d’études et marché de l’emploi, et celui des titres et des CQP qui visent l’adaptation à l’emploi. Ce sont deux logiques différentes. On pourrait imaginer idéalement que des titulaires d’un bac professionnel préparent un CQP afin de mieux préparer l’accès à l’emploi ; mais ce cas de figure reste très rare.

En revanche, les titres professionnels ont des finalités beaucoup plus proches des CQP que des diplômes de l’éducation nationale, et il devrait être possible de développer des ingénieries communes entre le ministère du Travail et les branches dans la recherche de l’adaptation à l’emploi.

 

A l’issue de l’étude, quelles sont vos propositions pour améliorer le système et promouvoir une cohérence des certifications et des blocs de compétences ?

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Il est nécessaire de travailler très en amont, en partant des référentiels métiers. Trop d’organismes différents y travaillent en parallèle sans coordination [les CPC de l’éducation nationale, celles des autres ministères les commissions issues du paritarisme…] ; il y a aussi la question de savoir qui est « habilité » à élaborer ces référentiels, les employeurs étant souvent enclins à penser qu’eux seuls sont légitimes. Au total, un véritable « maquis » où les doublons sont multiples et la déperdition d’énergie colossale. On est à l’opposé de la rationalité telle qu’elle s’exprime dans le modèle allemand du BIBB.

 

Il serait essentiel de commencer par chercher à élaborer un vocabulaire commun en rapprochant les définitions et les concepts, puis de mutualiser les travaux d’ingénierie portant sur l’analyse du travail. Ceci pourrait se faire dans le cadre d’une commission large qui pourrait être la Commission nationale de la certification professionnelle [CNCP]. Il s’agirait de recréer une référence commune comme l’a été pendant un temps le Répertoire français des emplois établi par le CEREQ.

À partir de cette référence, on pourrait entamer un rapprochement des méthodes de construction des référentiels d’activités/emploi et de leurs découpages en sous-ensembles tout au moins entre certifications poursuivant les mêmes finalités.

En revanche, on conserverait la diversité d’approche au niveau des référentiels de certification afin de respecter les finalités et notamment entre les certifications à fin d’éducation et celles à finalité d’employabilité.

Enfin en ce qui concerne les relations entre blocs de compétences et certifications, il faudrait réfléchir à un juste équilibre entre souplesse du parcours et maintien de la qualification comme cible finale, grâce à un système de capitalisation par validation intermédiaire. Par ailleurs, la construction de blocs de compétences communs entre certifications devrait être encouragée.

Est-ce qu’on dispose d’évaluations ou au moins de premières données sur la mise en œuvre des blocs de compétences et l’impact sur les parcours professionnels ?

Même si l’introduction des blocs dans la loi est très récente, un certain nombre de certificats ou titres professionnels du Ministère du Travail avaient déjà été découpés en blocs dans le contexte des travaux préparatoires à la mise en place de la VAE. Cependant, à ma connaissance aucune évaluation de l’impact de ces découpages sur les parcours des individus n’a été conduite jusqu’à maintenant. Le besoin est grand de poursuivre le travail entrepris dans le cadre de cette étude en abordant également les conséquences de la réforme de 2014 sur l’offre de formation et les usages qui en ont été faits par les entreprises et les branches professionnelles. L’AFDET entend y contribuer avec le CEREQ.

 

Pour en savoir plus :

– AFDET / CEREQ, Les blocs de compétences dans le système de certification, 2017

 

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