4 minutes de lecture

danielle kaisergruber

2017 a apporté, comme chaque année, une belle moisson de mots nouveaux : micropaiement (ou comment mettre votre compte en banque sous perfusion), stilettos (à condition de ne pas avoir à prendre le métro), inclusive (pour l’écriture !), ubérisation, disruptif… et par-dessous tout le triomphe dans tous les univers de la « bienveillance ». Martine Aubry en avait eu l’intuition avec la mise en avant du « care », du besoin de « soigner le vivre ensemble », mais pour une fois la langue anglaise n’avait pas pris. Comme quoi en matière de langage, il ne s’agit pas de réformer par décrets, ce sont les usages qui font loi.

Noël peut parfois laisser un petit goût d’amertume : déballages plastiques de la société de consommation, jouets (plastique aussi) dans le style « vu à la télé » ou pour « faire comme à la télé ». Et puis maintenant tous ces sapins revêtus de leur linceul (de plastique) dans les rues vides et pluvieuses de Paris… Et puis cette phrase d’un automobiliste entendue à la radio : « il a neigé le mauvais jour » : la neige c’est bien sur les pistes, mais pas sur les routes. Faudra-t-il donner raison aux promoteurs d’Europa City qui veulent nous construire des pistes de ski à côté de Roissy ?

Et puis on se souhaite une bonne année, mais pas toujours avec les mêmes mots : pour 2018, fini les accents dynamiques, les «  pleins de projets », ou les « rencontres à foison ». Cette nouvelle année, on vous la propose « douce », écho assourdi d’une bienveillance en marche face à la brutalité du monde qui ne se laisse pas oublier si facilement.

Nous sont aussi arrivées les « fake news » : pourquoi les mots anglais là où l’historien Marc Bloch en 1920 consacrait une étude aux « fausses nouvelles » qui déjà avaient été une arme de guerre redoutable ? A l’issue de la Première Guerre « mondiale », de très nombreux livres ont été consacrés aux fausses nouvelles et l’analyse de leur mode de production. « L’erreur ne se propage, ne s’amplifie, ne vit enfin qu’à une certaine condition : trouver dans la société un bouillon de culture favorable ». C’est que le numérique est le monde de la langue anglaise et leur donne une puissance inédite, qui sans doute appelle une exigence de réflexion et une vigilance inédites. Alors en effet il ne suffit pas de soulever les épaules ou de lever les yeux au ciel (qui n’y peut pas grand-chose).

En 2018 donc, on aura aussi une loi « fake news », on aura d’ailleurs beaucoup de lois (trop ? Il faut les digérer… les mastiquer longuement comme les mots…) : assurance-chômage, formation professionnelle et apprentissage, réforme de l’« objet social de l’entreprise » et de sa gouvernance pour indiquer que les entreprises fabriquent aussi du social, de l’environnemental et des communs et qu’à côté des actionnaires, il y a aussi des salariés. Metis y reviendra bien sûr.

Tiens, à propos des salariés, le dernier point sur les conditions de travail en France (DARES, n° 082, décembre 2017) montre une stabilisation des contraintes de rythme de travail, une amélioration des contraintes psychosociales, un recul des comportements hostiles, mais l’autonomie des collaborateurs continue de régresser… En somme, tout l’inverse des injonctions verbales à la créativité, l’indépendance dans le travail, les nouvelles façons de travailler… Des mots, des mots, et des choses qui résistent. Des lois, des lois (qui sont des mots performatifs), et des choses qui résistent. Qui avait écrit que l’on ne change pas la société par décrets !

Claude-Emmanuel Triomphe nous répète volontiers que le mot-clé devrait être « engagement » dans tous les sens du terme ! Justement parce que c’est dans les pratiques de tous les jours, dans la mise en œuvre concrète des lois que les choses qui résistent peuvent bouger. Et là on trouve les mots qui vont bien et l’on finit par « faire comme on a dit ».

En attendant les mots et les choses de 2018, et de nombreux nouveaux dossiers, toute l’équipe de Metis Europe vous dit tout simplement : belle et bonne année !

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.