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danielle kaisergruber

La question peut s’entendre : dans quel lieu est-ce que vous travaillez ? On a un peu vite fait de penser qu’il y a longtemps tout le monde, ou presque, travaillait dans une usine, plus ou moins grande. Puis on s’est mis à penser que tout le monde travaillait dans des bureaux, petits ou grands, quelque part dans des tours très hautes dans les quartiers d’affaires. La réalité des lieux de travail est beaucoup plus diverse !

 

Nombre d’entre nous travaillent chez les autres : les artisans dans les appartements ou les maisons où ils effectuent des travaux ; les réparateurs de chaudières, les installateurs de live box dans les entreprises ou chez les particuliers pour lesquels ils « interviennent » comme l’on dit. Les salariés du BTP sur des chantiers, dans les rues des villes parfois. Les personnes qui font du service à domicile, de l’aide à domicile, accompagnent des personnes âgées, ou malades, ou handicapées, gardent des enfants, travaillent dans les domiciles des autres, ou parfois dans leur propre domicile. Les FMmers (les salariés du Facility Management) travaillent dans les lieux de travail des autres, et si possible pas aux mêmes heures, comme s’il était impensable qu’ils se côtoient. Pour ne pas parler de ceux qui travaillent dans des trains, des avions, au volant de camions, de voitures, de bateaux, d’avions. En somme c’est trompeur de ne parler que de bureaux, qu’ils soient personnels, personnalisés, en open space ou non.

Certes, avec l’ordinateur portable, le smartphone, les connexions n’importe où, le bureau comme figure sacralisée du travail que l’on a parfois qualifié de post industriel, a éclaté. Il peut être partout : à la maison avec le télétravail, dans les moyens de transport, les gares et les aéroports, les cafés, les hôtels. Cet éclatement des lieux possibles marque les esprits, car il correspond à une nécessaire redéfinition du temps de travail, à un brouillage des frontières entre la vie professionnelle et la vie privée. On le voit avec le télétravail, selon qu’il est défini dans des accords d’entreprise, dans des chartes, ou pratiqué de manière sauvage et pragmatique, son importance se mesure de manière contrastée. Apporter des dossiers à la maison n’est pas la même chose que travailler deux jours par semaine en télétravail.

Longtemps, de nombreuses études ont prédit que le travail connecté allait réduire les déplacements, il n’en est rien et c’est le travail nomade qui s’est développé en contribuant tout à la fois à faire exploser certaines durées de travail, mais en apportant aussi de la liberté d’organisation, peut-être même de la distance par rapport à l’organisation pour laquelle on travaille. Cette liberté d’organisation est celle que revendiquent les indépendants, les « makers », peut-être pas très différente de celle qu’ont toujours revendiquée avec fierté les artisans. Elle peut rimer avec beaucoup de dépense d’énergie, parfois beaucoup de stress, et parfois beaucoup de plaisir.

C’est que le lieu, ou les lieux où l’on travaille sont fortement structurants… on sait la passion des Français pour les petites différences : l’attribution d’un bureau d’angle avec une belle vue dans les tours de bureaux, la taille du bureau et l’épaisseur de la moquette. Je me souviens avoir travaillé pour un groupe suédois dont le siège social était à Rueil, en région parisienne. Le bureau du Président était au deuxième étage, le dernier étage était réservé au restaurant d’entreprise, à une cafétéria et à une immense terrasse plantée d’arbres : cet étage était pour tous les collaborateurs. Et un peu partout dans l’immeuble, il y avait de petites cuisines aménagées. Ce que l’on retrouve aujourd’hui dans les bureaux des start-ups et bien sûr dans les espaces de coworking : le domestique et les valeurs du domestique deviennent très présentes dans les lieux du travail.

La question « et toi tu travailles où ? » peut aussi s’entendre au sens : dans quel genre d’entreprise ? ou dans quel genre d’administration ? Et là les questions sont multiples. Est-ce que l’ambiance est bonne ? les relations avec les autres ? les relations avec les chefs (car même dans l’entreprise la plus « libérée », il y a des chefs…) ? On y a de la liberté, des marges de manœuvre ? De bonnes conditions de travail ? Des possibilités de progresser ? Des parcours ? De l’attention portée à chacun ? De la reconnaissance ? Du retour sur investissement pour les salariés ? De la justice dans le traitement des uns et des autres.

Ou bien : est-ce que c’est pourri, étroit, marqué par des petits chefs, ou par trop de contrats courts qui font que les équipes ne sont jamais les mêmes, ou par trop d’incertitudes et de manque de confiance. En un mot, est-ce que c’est une « bonne boîte » ? Avec une organisation cohérente, dans laquelle les différents niveaux de dialogue – stratégique, social et professionnel – (voir « L’entreprise, espace de démocratie ou de bon gouvernement ? ») se développent et s’emboîtent le mieux possible. Une entreprise soucieuse d’éthique et de RSE, et qui s’organise pour avoir des pratiques quotidiennes les plus proches possible de ce qui est affirmé. Heureusement, il y en a.

Les changements annoncés dans la Loi PACTE, définition des raisons d’être de l’entreprise (autres que de rapporter de l’argent aux actionnaires), entreprises à objet social, responsabilité sociale et environnementale de toutes les entreprises, participation des salariés aux organes de gouvernance, pourraient ouvrir des voies de progrès. Et le MEDEF, en ces temps de renouvellement, s’honorerait en soutenant des visions modernes de ce que peut être une entreprise.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.