Le trop de réformes peut-il tuer les réformes ? La question mérite d’être posée. Pouce ! Posons-nous, faisons une pause, pas forcément au sens où il faudrait changer de cap comme au moment du Front populaire (la fameuse « pause ») ou en 1983 après l’arrivée de la gauche au pouvoir avec François Mitterrand. Mais au sens où toute réforme ne vaut que par la manière dont elle est déployée, digérée et appropriée par les acteurs, qui se transforment eux-mêmes en la mettant en œuvre.
Pause de l’été. Des festivals : il y en a de partout. Des plus « grands » et célèbres aux plus intimes, mais courus. Une vitalité, une créativité qui, année après année, été après été, ne se dément pas. Au contraire. Des tas de gens travaillent en été pendant les vacances des autres, dimanche compris : 72 personnes concourent directement à la représentation de Thyeste de Sénèque en ce moment à Avignon. Et des milliers d’autres ailleurs.
De quoi réjouir une ministre de la culture qui a bien besoin d’être confortée : mais pourquoi diable la priver du domaine de compétences qui est précisément celui où elle a grande expérience. Autant dire que pour faire de la politique, il ne faut surtout pas avoir de compétences particulières. Être juste bon à tout, c’est-à-dire bon à rien, être un « sophiste » aurait dit Socrate. Le politiquement correct peut rendre idiot.
Pause de l’été : le temps de lire aussi. Les rédacteurs de Metis ont publié des livres cette année : interpellés par ces questions de société qui se posent à l’intérieur des entreprises et viennent bousculer l’idée que l’on se fait du travail. C’est Denis Maillard avec Quand la religion s’invite dans l’entreprise ou comment ce fil conducteur (les demandes de salles de prière, les refus d’avoir pour chef une femme….) lui permet de cerner les contradictions du travail d’aujourd’hui : on y revendique tellement d’individualité et d’investissement de la subjectivité que l’on pourrait tout aussi bien y apporter ses convictions religieuses. C’est Jean-Yves Boulin et Laurent Lesnard avec Les Batailles du dimanche qui retracent l’histoire très particulière de ce jour de religion, de fête, mais aussi de sacralisation des loisirs organisés. Et qui en démontent les nombreuses contradictions : pour que les bibliothèques soient ouvertes le dimanche, il faut des gens qui travaillent ! D’autres questions de ce type sont dans nos agendas sociaux et dans nos agendas sociétaux qui souvent ne font qu’un.
Le temps de lire : de beaux livres de sociologues dont nous avons pour certains rendu compte. Il y a longtemps que je pense que les sociologues et les romanciers sont cousins germains : avec La France des Belhoumi de Stéphane Beaud, on vit les histoires d’une fratrie venue d’Algérie, avec La précarité en col blanc de Lise Bernard, on perçoit le rapport au travail et à l’argent très particulier des agents immobiliers. Le travail et l’argent c’est le titre d’un surprenant livre du grand romancier Léon Tolstoï : dans les années 1890, hanté par l’idée qu’il doit faire « le bien », donc quelque chose pour les pauvres (tous les pauvres et pas seulement « ses » paysans d’Iasnaïa Poliana), il s’engage à faire le recensement de la population de Moscou et arpente les quartiers mal famés de la capitale russe armé de ses questionnaires et de beaucoup de fausse bonne volonté. Résultat : l’argent est mauvais, même le donner est mauvais et encourage « la vanité de la bienfaisance ». Un très curieux livre en tout cas !
Et puis il y a les vrais romans : celui de David Lopez, Fief, qui a obtenu le prix des lecteurs Inter. Ou le degré zéro du travail, question en dehors des radars d’une bande de jeunes qui vivent, qui boivent des bières, ou autre chose, qui fument des joints en jouant aux cartes, qui font de la boxe, qui vont et viennent sur leur étroit territoire d’une banlieue indéterminée qui n’est ni tout à fait la ville ni tout à fait la campagne. Qui n’ont pas de projet parce qu’ils ne se voient pas d’avenir, qui parfois auraient envie de sortir de leur fief, mais y renoncent comme par habitude de vieux. David Lopez leur invente une langue. « Assignés à résidence » : est-ce cela ?
Il y a aussi le livre de Scholastique Mukasonga, Un si beau diplôme : un récit autobiographique qui sonne si juste, ou comment pourvue d’un diplôme d’assistante sociale du Burundi qui s’annonçait comme le précieux talisman pour une vie meilleure, d’une expérience d’une vingtaine d’années dans ce métier qu’elle aime, elle est obligée de tout reprendre à zéro lorsqu’elle veut travailler en France… Son Rwanda qu’elle a dû fuir est loin depuis longtemps, est si présent : ou comment évoquer des choses violentes dans une langue qui ne l’est pas. Edouard Louis, avec Qui a tué mon père ? écrit la violence du travail et de la pauvreté, matérielle et culturelle, qui ont provoqué la maladie, avec une violence assumée. Une violence accusatrice.
Pause de l’été, festivals, lectures et autres activités. Et déjà, pointe l’une des questions de la rentrée : comment réduire sérieusement la part des déterminismes sociaux ?
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