En utilisant l’expression « Revenu universel d’activité » pour qualifier ce qui sera une allocation unique regroupant plusieurs « social benefits », Emmanuel Macron et Agnès Busyn ont remis en lumière les questions du lien entre revenu et travail.
Faut-il travailler pour être moins pauvre, et le travail est-il la seule manière de lutter contre la pauvreté ? L’existence d’un nombre important de « working poors » montre que non. 2,6 millions de personnes perçoivent la prime d’activité qui vient compléter des revenus du travail trop faibles. Faut-il cumuler un revenu d’assistance (minima social) ou de remplacement (allocation chômage) avec le revenu procuré par une « activité réduite ». Ces situations-là se sont multipliées contribuant à un brouillage des frontières : ce que l’on nomme souvent « le halo du chômage ».
Mais les évaluations du dispositif allocation chômage + activité réduite ont montré que les emplois ainsi occupés ne fonctionnent pas véritablement comme un « marche-pied » vers un emploi plus stable et durable, mais davantage comme une trappe à « bad jobs ». Au grand regret des partenaires sociaux qui ont négocié ce système dans le cadre de l’UNEDIC.
C’est que les inégalités se jouent et se fabriquent tout au long de la vie : elles naissent souvent très tôt (d’où les mesures sur la petite enfance) ; elles se font et se défont à l’école et dans les études (d’où l’extrême sensibilité des jeunes et des familles aux mystérieux algorithmes de Parcours Sup). Faut-il en revenir au seul mot d’ordre de l’égalité des chances ? Dans le dernier livre de Pierre Rosanvallon, je trouve ces remarques à propos du New Labour de Tony Blair : « Bien au-delà de la traditionnelle égalité légale des révolutionnaires français/…/le but de l’Etat était de donner aux individus les moyens de se réaliser et de progresser/…/Le tout dessinant une alternative à un Etat-providence traditionnellement conçu comme réparateur et redistributeur ». En promouvant la prise en charge par les individus de leur projet (professionnel ou de vie), de leur formation et de leur parcours par l’utilisation de leur compte personnel de formation, en serait-on juste revenu à Rawls et aux années 1990 ? Peut-il suffire pour lutter contre les inégalités de toutes sortes de se concentrer sur le tout début dans la vie des petits d’homme ?
La stratégie de lutte contre la pauvreté qui vient d’être présentée dans ses grandes lignes se place sous le signe de l’« émancipation de tous » : un mot qui n’était plus guère utilisé et ce retour en grâce méritent réflexion. De quoi faut-il s’émanciper : de l’aliénation au travail ou de la « désafiliation » (selon l’expression de Robert Castel) pour ceux qui n’ont pas de travail ? Ou du déterminisme social qui assigne des places à chacun pour la vie par la reproduction des inégalités.
C’est que les inégalités de destin que chacun peut constater ne se laissent pas facilement saisir, hormis les plus saisissantes et spectaculaires qui opposent par exemple les 99 % et les 1 % de patrons d’entreprise, d’acteurs, de joueurs de foot ou de tennis… Il faut en fait s’attacher aux inégalités cumulées : de revenus certes, mais aussi de logement, de santé, de transport, d’accès à la culture. Les Etats-providence ont produit des politiques, des systèmes d’aides parallèles, des « dispositifs » concurrents gérés par des administrations ou des collectivités locales différentes, là où serait nécessaire une approche globale. Une approche qui apporte de l’aide, mais laisse toute sa place à la personne. Ceux qui cumulent les revenus les plus bas, les situations précaires de santé, les relégations dans les filières professionnelles les moins prometteuses, les décrochages scolaires, les obstacles à la mobilité géographique ont besoin d’un filet de sécurité (un revenu), mais aussi de trouver des ressources sociales, relationnelles, de voisinage pour exercer des activités en se portant présents dans la société et en retrouvant une utilité dans leur environnement territorial. L’expérimentation « TZCLD » (Territoires Zéro Chômage Longue Durée) le démontre, et il est bien que les territoires concernés passent de 10 à 50. De nombreuses autres initiatives vont dans le même sens.
Recevoir une allocation, un revenu, certes, mais être accompagné pour qu’il corresponde à un travail, une activité, un emploi, un lien avec les autres, et au final une utilité sociale. Les mesures proposées évoquent « un droit universel à l’accompagnement » : selon qu’il se trouve dans un département ou dans un autre, un allocataire du RSA a plus ou moins 50 % de chances d’être accompagné, nombreux sont encore les bénéficiaires des différents minima sociaux, ou les jeunes « décrochés », qui se trouvent sous les radars comme le disent les conseillers et/ou travailleurs sociaux en charge de l’accompagnement.
Ce n’est pas un plan, dit-on. Mais une stratégie. Une fois encore c’est la déclinaison, la mise en œuvre avec tous les acteurs, toutes les parties prenantes, toutes les personnes concernées qui sera décisive.
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