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par Yannick Blanc, propos recueillis par Jean-Louis Dayan

Des jeunes désengagés, indifférents aux grandes causes, repliés sur eux-mêmes, prisonniers des réseaux sociaux, sans goût ni respect pour le travail… Metis a montré il y a peu l’inanité des rengaines déclinistes et autres catégorisations hâtives appliquées aux générations qui arrivent. Quand on offre aux jeunes de s’engager, ils sont au rendez-vous. C’est le constat que Yannick Blanc, Haut-Commissaire à l’engagement civique et Président de l’Agence du service civique, livre à Metis.

D’où vient le service civique ?

Yannick Blanc : Tout commence avec l’initiative de trois jeunes femmes qui à leur sortie de l’ESSEC en 1994 découvrent, à l’occasion d’un séjour aux États-Unis, un modèle d’engagement qu’elles décident de transposer en France sous la forme d’un « Service civil volontaire ». Dans un cadre purement associatif et sur fonds privés, il s’agit de mobiliser des contributions bénévoles, non pas ponctuelles, mais à temps continu. Elles entendent ainsi susciter l’engagement de jeunes au service de causes d’intérêt général, tout en faisant en sorte qu’il constitue une parenthèse formatrice dans leurs parcours. Porté pendant 15 ans (1994-2009) par l’association UNIS-CITES le Service civil volontaire va connaître un franc succès auprès des jeunes et constituer une expérience marquante pour toute une génération de cadres associatifs qui ont aujourd’hui 40 ans, à l’instar de ce qu’ont représenté les mouvements d’éducation populaire ou les scouts pour les générations précédentes.

Il va prendre une autre dimension avec l’entrée en fonction de Martin Hirsch, nommé Haut-commissaire à la jeunesse par Nicolas Sarkozy en 2010. Rebaptisé « Service civique », 15 ans après la fin du Service national, il reçoit un statut et un financement publics, ainsi qu’un fondement légal avec son inscription dans le Code du service national. Pour le mettre en œuvre, une Agence du service civique voit le jour, avec Martin Hirsch pour président. Le décollage est rapide : de 6 000 en 2010, le nombre des jeunes volontaires dépasse 50 000 en 2015.

Le second tournant intervient après l’attentat de Charlie-Hebdo. En réponse à l’élan suscité par la mobilisation populaire du 11 janvier 2015, François Hollande lance le défi d’un « Service civique universel » (après avoir placé sa présidence sous le mot d’ordre « La France s’engage », devenue fondation d’utilité publique en 2017). Est-ce à dire que le service civique devient obligatoire ? La réponse est non, sans ambiguïté : il est et doit rester fondé sur le volontariat, une dimension essentielle affirmée par Martin Hirsch et confirmée par ses successeurs à la présidence de l’Agence, François Chérèque d’abord, moi-même après. Il s’ensuit que le contrat de service civique n’est pas un contrat de travail : il ne repose pas sur une relation de subordination, et son recrutement n’est pas fondé sur des critères de compétence, mais sur la seule motivation des jeunes qui s’y engagent. Aux organismes d’accueil d’ajuster les missions proposées au profil des volontaires. C’est un nouveau coup d’accélérateur : de 55 000 en 2015, les volontaires en mission sont aujourd’hui près de 150 000, ce qui fait de la France l’un des premiers pays de l’Union européenne en la matière (le nombre de jeunes engagés civils ne dépasse pas 100 000 en Allemagne, 50 000 en Italie).

Le Service civique, comment ça marche en pratique ?

Il faut d’abord des organismes d’accueil. Ils sont aujourd’hui 12 000 à avoir sollicité et obtenu un agrément auprès de l’Agence. Nous l’accordons d’abord au vu de la qualité de l’organisme, qui doit être sans but lucratif ou bien relever du service public, avoir un objet conforme à la loi et des capacités d’accueil adéquates ; en particulier, le tutorat y est obligatoire. L’organisme doit également respecter huit principes fondamentaux : Intérêt général, Citoyenneté, Mixité, Accessibilité, Complémentarité (non substitution aux emplois salariés), Initiative, Accompagnement bienveillant, Respect du statut. Avec l’agrément, l’Agence accorde aux organismes un droit de tirage exprimé en mois d’accueil sur la base d’une durée moyenne de 8 mois par mission (les textes fixant une fourchette de 6 à 12 mois). Soit en gros la durée d’une année scolaire ou universitaire. Le service est ouvert aux jeunes de 16 à 25 ans (30 ans en situation de handicap) ; en pratique la moyenne d’âge des volontaires est de 20-21 ans : en grande majorité, ils font leur service civique autour du Bac ou du Bac + 1.

Pour les recruter, l’Agence ne joue pas les intermédiaires. Les organismes d’accueil publient leurs missions sur notre site ou encore via le réseau des Missions locales ou des Centres d’information et d’orientation ; et les jeunes présentent seuls leur candidature en ligne auprès de l’organisme choisi. Si jeune et organisme tombent d’accord, nous enclenchons le paiement de l’indemnité mensuelle (472,97 euros), complétée par un apport de 107,58 euros, en espèces ou en nature, à la charge de l’organisme au titre de l’hébergement, du transport et de la subsistance. Chaque jeune en mission doit être suivi dans l’organisme par un tuteur ; il reçoit aussi une formation civique et citoyenne, ainsi en principe qu’une formation au premier secours ; faute d’offre suffisante, celle-ci ne bénéficie cependant aujourd’hui qu’à un tiers des volontaires. En pratique, tutorat et formation sont de qualité variable, et c’est pour nous un point de vigilance. Chaque jeune doit avoir aussi en fin de mission un entretien consacré à son avenir professionnel, pour lequel nous sommes en train de construire avec les organismes d’accueil un référentiel comportant notamment un inventaire des compétences acquises en mission.

Le service civique a 8 ans d’existence. S’il fallait faire un bilan, que retenir ?

D’abord ce constat majeur : le service civique a été conçu comme une école de l’engagement, tournée vers la citoyenneté et l’intérêt général. Mais les jeunes en ont fait massivement un outil d’orientation et d’insertion professionnelle. À telle enseigne que lorsqu’ils parlent de leur mission, ils emploient le mot « travail ». Quant à nous, nous veillons très soigneusement au respect du principe de non-substitution à l’emploi ordinaire. La question nous est très souvent posée, et c’est vrai que nous voulons des missions qui se déroulent au plus près de la vie professionnelle. Il reste que la dénonciation d’une possible substitution ne vient jamais des jeunes eux-mêmes ; aucun d’entre eux ne se plaint d’avoir ce qu’ils appellent « un vrai boulot ». Ce qui ne veut évidemment pas dire que nous ne devons pas rester vigilants. Le risque de détournement existe, particulièrement dans le secteur sportif où les frontières entre statuts bénévole, amateur et professionnel sont floues, ou dans le secteur culturel, qui comprend beaucoup de structures associatives économiquement très fragiles.

Bien qu’ils ne soient pas salariés, les jeunes acquièrent en service civique un ensemble de compétences sociales et comportementales (autrement dénommés savoir-être, compétences transversales ou encore soft skills). C’est vrai à tous niveaux, pour les jeunes désocialisés aussi bien que pour les plus diplômés. J’ai en tête l’exemple de cet élève de l’École normale supérieure qui a demandé à différer d’un an son entrée à l’École pour faire un service civique, conscient qu’il « n’avait rien appris d’autre qu’à être un bon élève ». Or, c’est justement leur crainte que les jeunes ne maîtrisent pas ces fameuses compétences transversales qui pour beaucoup d’employeurs est le principal obstacle à l’embauche en contrat d’alternance.

Le service civique accueille des jeunes de tout niveau de formation, mais beaucoup y vont par défaut, poussés par l’échec scolaire ou universitaire ; c’est pour eux une solution d’attente. Il reste qu’à la fin de leur mission nous constatons deux phénomènes massifs :
ils sont beaucoup plus au clair sur leurs compétences et leur projet d’avenir, nombreux sont ceux qui y ont acquis l’envie d’apprendre.

Deux acquis qu’il faudrait pouvoir étendre à tous les dispositifs publics pour l’insertion des jeunes ; malheureusement, les cloisons entre départements ministériels sont étanches, empêchant bien souvent de construire des parcours « sans couture ».

Au titre des obstacles, je pense également aux difficultés particulières que nous rencontrons dans le monde rural pour organiser l’hébergement et les déplacements des jeunes volontaires ; beaucoup d’initiatives locales se font jour pour y répondre, mais il faut encore les élargir. On nous reproche aussi parfois de ne pas assez favoriser la diversité. La proportion de jeunes issus des quartiers de la politique de la ville est la même parmi nos volontaires que parmi l’ensemble de la classe d’âge ; il faut aller plus loin, sans pour autant remettre en cause la vocation universelle du service civique. L’idéal serait de faire en sorte qu’il offre à chacun une véritable expérience de mixité sociale ; c’est dans ce but qu’Unis-Cité pose le principe d’un travail en équipe socialement diversifiée dans tout organisme accueillant simultanément huit jeunes ou plus.

En matière de bilan, je dirai aussi que nous sommes en passe d’atteindre un palier. Notre budget passera l’année prochaine de 450 à 500 millions d’euros, ce qui va nous permettre de stabiliser le nombre des volontaires aux environs de 150 000. Un palier qui n’est pas mal vécu à l’Agence, car nous ressentons le besoin de travailler à la qualité de notre dispositif, en termes de missions comme de conditions d’accueil. Il faut savoir que nous ne sommes que 25 pour assurer le pilotage opérationnel du service civique depuis Paris, relayés sur le terrain par 150 agents des services déconcentrés de l’État. Ce palier correspond aussi à un moment où les jeunes sont devenus les principaux prescripteurs de service civique : ce sont eux qui suscitent les vocations à travers le bouche-à-oreille. De même, nous avons cessé de prospecter de nouvelles structures d’accueil : les quelque 13 000 actuelles constituent un vivier suffisant.

Entre attentes des jeunes, des organismes et des pouvoirs publics, comment se gouverne le service civique ?

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le véritable organe de gouvernance de l’Agence n’est pas son conseil d’administration, hormis bien sûr quand il s’agit des gros dossiers administratifs et budgétaires, qui se traitent entre ministères. La régulation d’ensemble revient pour une part au Comité stratégique, qui réunit ministères, associations, personnalités qualifiées, mais aussi six jeunes volontaires en mission, dont la contribution est véritablement précieuse. Mais la vraie réponse, c’est que le service civique est gouverné de manière diffuse. L’Agence est là pour veiller au respect des objectifs et des valeurs ; dans la pratique, ce sont les organismes d’accueil qui gouvernent le service à travers leurs relations avec les jeunes, et leur « courbe d’expérience » n’a cessé de croître ; l’Agence apporte au réseau son animation, sa charte et ses outils, mais pour le reste le service civique est cogéré avec les grandes structures associatives comme Unis-Cités, la Ligue de l’enseignement, le réseau des Missions locales, qui assurent le relais avec les organismes de terrain et le portage des projets transversaux. Il y a forcément des risques de dérive locale, auxquels il faut veiller. Mais rien de tragique au total.

Pas de fortes revendications du côté des jeunes en termes d’indemnités ou de conditions d’accueil ; leur revendication majeure, c’est la reconnaissance des compétences acquises en mission ; plus accessoirement, ils demandent aussi à bénéficier des mêmes avantages annexes que les étudiants (réductions diverses).

Il se dit tout et n’importe quoi sur les prétendues générations X, Y ou Z. Comment vos jeunes vivent-ils l’engagement ?

Nous les interrogeons chaque année par sondage après la fin de leur mission, et c’est de là que nous tirons les éléments de bilan dont j’ai fait état. Mais nous sommes en train de construire un dispositif d’évaluation plus qualitatif, en nous aidant de la base statistique constituée par les quelque 300 000 jeunes passés par le service civique depuis sa création. De son côté, la Fonda va bientôt publier sa propre enquête sur l’engagement. Ce que nous savons, c’est que la tentation du « zapping » est présente chez les jeunes générations : l’engagement ponctuel ou en pointillé existe, mais très souvent (deux cas sur trois) il s’accompagne de la fidélité à une même association. De son côté, l’Association de la Fondation Étudiante pour la Ville (AFEV) mène chaque année une enquête dont la dernière édition confirme le goût croissant des jeunes pour l’engagement, leur taux d’engagement ne cessant de progresser depuis 2000. En même temps, cet engagement change de nature, car il devient un critère essentiel de leurs choix de vie. Ils disent leur besoin de trouver du « sens » à leur activité (autrement dit d’être utile à l’intérêt général) tout en restant libre de choisir ce qu’ils font, et soucieux d’y acquérir des compétences ; pour eux toute activité doit être apprenante. Les employeurs le savent si bien que l’engagement est devenu pour eux critère de recrutement (y compris à la sortie des grandes écoles) ; et nombre de DRH constatent qu’il ne suffit plus d’un gros chèque pour retenir les jeunes diplômés en quête de sens.

C’est cette soif d’engagement qui sous-tend la progression du service civique et plus largement du bénévolat chez les jeunes. Pour moi, elle est en passe de percuter la teneur même du contrat de travail, appelé à se transformer en contrat de coopération beaucoup plus que de subordination et d’encadrement hiérarchique. Ce qui n’exclut pas les risques d’abus et de surexploitation. Des risques peu présents cependant dans le service civique, ne serait-ce que parce que les missions sont courtes ; les cas de burn-out y sont très rares, et limités à de courtes périodes de missions à haute intensité, dans le secteur du spectacle par exemple.

 

L’un des engagements de campagne d’Emmanuel Macron était d’instituer un Service national universel. Le Service civique y tiendra-t-il un rôle ?

Le schéma d’organisation du service national universel est désormais arrêté : une période obligatoire prenant place entre 16 et 18 ans, à la fin de la scolarité obligatoire. Elle durera un mois au total, dont 12 jours en internat (sur le modèle des écoles d’officier de réserve) et le reste en projet citoyen, à définir à l’échelle locale.

À l’issue, les jeunes seront encouragés à se consacrer à une période d’engagement volontaire, et c’est là que le service civique jouera son rôle de « vaisseau amiral », en continuant en particulier à diversifier des champs d’activité offerts aux jeunes. Mais jusqu’où ? On peut aller sans trop de difficultés jusqu’à 300 000 jeunes simultanément en mission. Au-delà, on ne sait plus faire… Mais le potentiel est énorme : l’enquête portée par la Fonda chiffre l’engagement bénévole des 18-25 ans à 2,7 millions de jeunes, dont 1,7 million à titre ponctuel et 1 million à titre régulier.

 

Pour en savoir plus :

– Agence du service civique, rapport d’activité 2017

– Enquête annuelle AFEV-AUDIREP « Éducation Emploi Citoyenneté Europe -La parole aux jeunes » Avril 2017

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Socio-économiste, Jean-Louis Dayan a mené continûment de front durant sa vie professionnelle enseignement, étude, recherche et expertise dans le champ des politiques du travail, de l’emploi et de la formation. Participant à des cabinets du ministre du travail, en charge des questions d’emploi au Conseil d’analyse Stratégique, directeur du Centre d’Etudes de l’Emploi… Je poursuis mes activités de réflexion, de lectures et de rédaction dans le même champ comme responsable de Metis.

Yannick Blanc