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Métamorphose Du travail : tel est le titre au singulier du livre de Christine Affriat (avec Evelyne Bertin, Eric Hauet, Emily Lecourtois, Olivier Lejeune et Alain Petitjean). Une transformation unique, radicale, mais faite de multiples facettes de changement, du contenu du travail à sa forme juridique et sa place dans un « équilibre du sous-emploi » et d’une société déstabilisée. 

L’ouvrage est collectif, mais écrit d’une seule plume. Il se présente comme une synthèse des nombreux travaux récents sur les impacts de la révolution numérique, de l’économie des plateformes et des politiques de réformes du marché du travail. Mais la démarche est également prospective, les auteurs étant engagés dans de nombreux groupes de travail dans le cadre de la Société française de prospective.

Les déterminants de la transformation du travail (entendu dans un premier temps au sens classique d’activité produite en échange d’une rémunération, quelle qu’en soit la forme juridique) sont analysés. Au premier chef « le faisceau de technologies » qui commencent de se déployer dans les sociétés et impactent toutes les fonctions des entreprises : les nanotechnologies, les biotechnologies, les technologies de l’information et les sciences cognitives ». Ces transformations sont « disruptives » au sens où elles génèrent de nouveaux modèles économiques qui conjuguent désintermédiation, fonctionnement à la demande, et mise au travail du consommateur lui-même. Ce sont de nouvelles et souvent grosses entreprises qui fonctionnent non comme des organisations, mais comme de simples places de marché, ce que traduit le mot de « plateformes ». « Les plateformes sont des organisations hybrides entre l’entreprise et le marché. » Elles se présentent comme de simples intermédiaires, et malgré leur ancrage dans la contre-culture libertaire américaine, elles nient la dimension du travail, et à plus forte raison du « contrat de travail » (voir dans Metis, « Essayer de ne pas mourir idiots ! » – A propos du livre de Dominique Cardon Culture numérique).

Les entreprises plus classiques ne sont pas en reste, et sous les mots d’ordre « d’entreprises libérées », ou de « lean management », ou d’« industrie 4.0 », cherchent à adopter de nouvelles formes d’organisation et de management, avec plus ou moins de succès. Gérard Valenduc et Patricia Vendramin, sur lesquels les auteurs s’appuient beaucoup ont montré que «  ce ne sont pas les technologies elles-mêmes qui améliorent la productivité, mais les changements organisationnels soutenus par les technologies ». Les réformes du marché du travail, mises en œuvre dans la plupart des pays de l’OCDE accentuent les transformations du travail en ouvrant sur une hybridation des statuts d’emploi, parfois un découplage entre contrat de travail et temps de travail : toutes tendances que devrait accentuer la récente période de confinement et le recours massif au travail à distance. Le travail reste essentiel dans la vie des Européens, toutes les enquêtes (celles d’Eurofound en particulier) le montrent, mais il est vécu de manière de plus en plus contradictoire. Les auteurs évoquent ainsi ces jeunes générations qui se voient idéalement travailler dans une grande entreprise dont l’organisation est comparable à celle d’une PME…

En termes de prospective, il apparaît assez difficile de voir se dessiner les différents types de scénarios du futur du travail. Il est d’ailleurs frappant de voir que sous le nom de scénarios, ce sont plutôt des paraboles, des « figures  de travailleurs » qui sont présentés, que ce soit les technologies qui déterminent et « pilotent » le travail, ou que se mette en place une régulation de la technologie au service des hommes, ou une transition plus maîtrisée (et désirée ?) vers une transition écologique et sociale. Le récit d’expérimentations conduites en Finlande, en Indonésie et en Italie (« smart working ») vient illustrer ces différents possibles.

Au final, plus que des scénarios, ce sont des valeurs qui sont affirmées comme devant guider l’action et les manières de composer avec la modernité : la capacitation, l’émancipation au sens d’un rapport actif à la connaissance, la protection et le souci de la reconnaissance. Tout est ouvert pourvu que s’ouvre la possibilité de donner une place à toutes les formes d’activité.

– Métamorphose Du travail  – Christine Affriat avec la participation d’Evelyne Bertin, Eric Hauet, Emily Lecourtois, Olivier Lejeune et Alain Petitjean — Economica, 2020 –

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.