En Mai, le CEDEFOP a mis en place un indicateur des risques d’exposition des emplois au Coronavirus et un document de travail pour déterminer des mesures propres à les contrecarrer. Metis fait le point.
L’épidémie du Coronavirus et les mesures de confinement ont eu des conséquences dramatiques sur l’emploi qui vont perdurer dans les mois et les années à venir en dépit des mesures de chômage (ou de travail) partiel mises en place notamment dans les pays européens. Ces bouleversements ont affecté les situations de travail de façon extrêmement hétérogène et ont creusé les inégalités selon les secteurs d’activité, les professions et les populations qui les exercent, sans oublier les chômeurs et les inactifs. Ce faisant, ils ont aussi contribué à accélérer les tendances à l’automatisation des tâches et au développement du télétravail. C’est dans ce contexte que le CEDEFOP vient de mettre au point un indicateur du risque d’exposition des emplois au Coronavirus afin de mieux identifier des mesures propres à contrecarrer ses effets délétères sur le marché de l’emploi (Covid-19 social distancing risk index) et d’en tirer les premières leçons dans un document de travail paru en mai 2020 sous le titre « EU jobs at highest risk of COVID-19 social distancing. Is the pandemic exacerbating the labour market divide ? »
L’analyse s’appuie sur les changements et les perturbations considérables enregistrées dans les économies et qui ont suscité une abondante (burgeoning) littérature — notamment en Europe — depuis les débuts de la pandémie. Il apparaît que l’impact diffère substantiellement en fonction du degré selon lequel les activités concernées répondent aux besoins essentiels de la population (médecine, alimentation…), en fonction des conditions du travail et en particulier de la nature des espaces de travail, mais aussi en fonction des variations selon lesquelles — avant la pandémie — ces activités s’étaient automatisées et des outils numériques avaient été introduits susceptibles de développer le télétravail et de faciliter l’interaction avec les clients. C’est ainsi qu’une étude conduite aux États-Unis montre une corrélation négative entre le développement des qualifications exercées à domicile et le déclin de l’emploi. Une autre étude menée en Irlande souligne l’intérêt du travail à domicile non seulement afin de maintenir la performance économique, mais aussi de limiter les pics de l’épidémie et de répondre aux problèmes de garde d’enfants en cas de fermeture des crèches et de écoles.
Par ailleurs, toutes les études — et en particulier un récent rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne (Fana et al. 2020) – montrent également l’accroissement des inégalités sur le marché du travail dont les effets sont les plus sensibles sur les plus jeunes, les femmes, les auto-entrepreneurs, les moins qualifiés et les migrants. Selon McKinsey, 59 millions d’emplois en Europe pourraient être affectés par des réductions d’horaires ou de salaires, des congés forcés ou des licenciements. Au niveau mondial, l’OIT évalue à 2 milliards et 700 millions (81 % de la force de travail) le nombre de travailleurs déjà affectés par des mesures de confinement partiel ou total et à 1 milliard 250 millions le nombre de ceux employés dans des secteurs en déclin sévère et appelés à de considérables « déplacements » de main-d’œuvre.
Dans ce contexte, à l’aide d’un nouvel indicateur, le document se propose d’analyser l’impact potentiel du confinement et des mesures de distanciation liées à la Covid-19 sur le marché de l’emploi au sein de l’Union européenne en partant des données établies par le CEDEFOP en 2016 dans le cadre de sa vaste enquête sur les emplois et les compétences. Il permet ainsi d’embrasser dans la même démarche l’ensemble du spectre des secteurs et des emplois, et de considérer l’ensemble des conditions selon lesquelles les activités se sont organisées en réaction au coronavirus, notamment dans le cadre du télétravail. L’indicateur s’appuie sur les descripteurs de compétence concernant la proximité physique avec les autres travailleurs — communication, travail en groupe (team working), services aux clients —, mais aussi sur le degré selon lequel le poste de travail est ou pourrait être automatisé. Il varie de 0 à 1 ; les valeurs des descripteurs sont maximales pour les situations où les compétences en matière de communication, de travail en groupe ou de contact avec les clients sont les plus élevées, et où les besoins de compétences en ITC sont les plus limités ; à l’opposé, ils sont au plus bas lorsque les activités concernées n’imposent pas de compétence particulière en matière de communication, de travail en groupe ou avec des clients, mais en revanche appellent des compétences élevées en matière de culture informatique et numérique.
À moins d’être un propagandiste zélé d’Amazon et de Netflix et de vouloir fermer les petits commerces et les salles de cinéma, on pourrait juger excessivement univoque, voire caricaturale, cette approche qui semble opposer la culture informatique aux autres compétences transversales. On peut cependant considérer qu’il s’agit d’une démarche qui prend en compte la diversité des conséquences de la crise de la COVID-19 sur les situations de travail, qui passe en revue tous les secteurs et les qualifications à l’aune de l’analyse, et qui permet d’engager la réflexion secteur par secteur sur les mesures à prendre pour limiter, voire contrecarrer les effets négatifs du virus et du confinement. C’est ainsi que le tableau ci-dessous dresse une première liste — indicative — des secteurs et professions par niveau de risque.
Sur ces bases, le document évalue à 45 millions le nombre d’emplois au sein de l’Union européenne — soit 23 % du total — dont le risque est très élevé (auxquels s’ajoutent 22 % dont le risque est « seulement » élevé) de voir la durée du travail et le salaire réduits, voire le licenciement dans le temps du post-coronavirus. Au-delà, l’analyse confirme que c’est sur les groupes les plus vulnérables que le risque est le plus fort. Il est plus élevé pour les femmes que pour les hommes, mais aussi pour les travailleurs âgés ainsi que pour les nouveaux entrants sur le marché du travail, sur les moins qualifiés, ou encore sur les travailleurs issus de l’immigration. Dans ce dernier cas, l’explication réside dans le fait que leurs emplois exigent un plus haut niveau de communication interpersonnelle et de compétences informatiques.
En conclusion le document évoque les politiques à conduire et les mesures à prendre en termes d’activation du marché du travail, de soutien à l’emploi et de formation y compris de reconversion. Il insiste également sur le besoin de procéder au suivi et à l’évaluation des phénomènes en cours et des mesures prises pour endiguer l’accroissement des inégalités, mais aussi d’anticiper autant que possible les risques à venir. Dans cette perspective, le CEDEFOP prévoit le lancement en 2021 d’une nouvelle enquête approfondie sur l’impact des mesures prises sur les situations de travail et sur l’état de l’adéquation des compétences aux besoins.
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