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par Laurent Duclos

Laurent Duclos Laurent Duclos

La Confédération Syndicale Internationale (CSI), nouvelle organisation à logo orange – la couleur des nouvelles révolutions ? – est née à Vienne le 1er novembre, fête de tous les martyrs. Une concession de l’ex-CISL à l’ex-CMT d’obédience chrétienne, ou à la mémoire des 115 syndicalistes assassinés en 2005 ? 168 millions d’adhérents, 306 fédérations, 154 pays, à l’exception notable de la Chine…

 

Couvée par l’OIT, annoncée en 2003 à Porto Alegre, cette nouvelle institution n’accumule pourtant pas que des superlatifs : ceci expliquant sans doute cela, elle est aussi l’héritière de piètres lobbyistes qui butèrent récemment sur l’insertion d’une «clause sociale» dans les négociations de l’OMC. La nouvelle organisation disposera d’un petit secrétariat de 70 permanents et d’un budget limité à 11 millions d’euros. Pour autant, elle est avec l’ONU – et à la différence du FMI, de l’OMC ou de la Banque mondiale contre lesquels elle s’est érigée -, la seule organisation « représentative au carré » à s’être constituée à l’échelle mondiale. Pour cette simple raison, cette création marque un progrès du « droit social international ».

 

« La première ONG de la planète »

 

Selon la formule d’Emilio Gabaglio, l’ancien président de la CES, il s’agirait d’en faire « la première ONG de la planète ». La comparaison n’est pas innocente. Rompant avec l’internationale dont les composantes contrefaisaient jadis la « carte des blocs », la CSI lorgne manifestement sur les capacités de projection des ONG, capacités qui constituent probablement un moyen de contrer les stratégies de déterritorialisation du capital. Aux ONG, comme aux alter-mondialistes, elle emprunte également un élargissement de son objet : cause environnementale ; défense des self-employed women des rues de l’Inde ou des « entrepreneurs prolétaires » d’Afrique… La connaissance de ces mondes à la marge du salariat masculin ne peut-elle nous aider à repenser l’intérêt et la défense même des insiders (salariés bénéficiant d’un contrat stable) du Nord comme du Sud ? Il ne s’agit pas tant de ratisser plus large que de comprendre ce qui nous échappe.

 

« Changer les règles du jeu de la mondialisation »

 

Ainsi que le rappelait, à Vienne, Guy Ryder, le premier secrétaire général de la CSI, « il devient urgent de changer nos façons de travailler », mais d’abord les manières de voir de qui veut « changer les règles du jeu de la mondialisation ». D’où cette forme de solidarité encore mal cernée ou relativement indéfinie qui concerne la « socialisation de l’information » entre travailleurs appartenant à des zones en concurrence, et qui conditionne aujourd’hui la création d’une volonté collective à l’échelle du monde. Il semble notamment que l’expérience des comités d’entreprise européens et des premiers comités mondiaux ait conféré une valeur nouvelle à cette base informationnelle pour le renouvellement des capacités d’intervention. On connaissait déjà la force des liens faibles, on découvre la force des « négociations faibles ». Il faut comprendre, en effet, que la « globalization » désigne moins la planète comme territoire unifié de l’économie –the World is flat-, qu’un mode d’action propre aux centres de pouvoir qui rend précisément difficile l’exercice des contrepouvoirs.

 

« la démocratie ne se conçoit pas sans organisation »

 

En conséquence, la nouvelle confédération s’est montrée soucieuse d’apporter son concours à l’action des « global unions », ces onze fédérations syndicales internationales sectorielles en prise directe avec les groupes transnationaux. Trois plans se dessinent dans cette internationale. Le premier plan du dialogue avec les institutions internationales dans « l’ordre diplomatique » : nous nous unifions, non pas parce que le monde est commun, mais parce que nous devons le construire comme monde commun (stragégie cosmopolitique régionale ou mondiale à la Ulrich Beck, sociologue allemand). Un deuxième plan de l’efficacité qui doit nous conduire, désormais, à partager l’action avec d’autres (ONG…) pour faire appliquer la norme fondamentale (OIT) plutôt que se partager des postes. De ce point de vue, le principe d’une « journée d’action internationale » décrété à Vienne en novembre fait un peu pitié. Last but not least, un plan d’action démocratique « au dehors » qui commence par un pluralisme du fonctionnement « en interne ». Comme disait Roberto Michels, sociologue et politologue italien, « la démocratie ne se conçoit pas sans organisation ». Encore faudrait-il que cette dernière ne soit pas son tombeau.


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