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La flexicurité est-elle exportable ?

publié le 2007-03-01

Marcia travaille depuis 20 ans dans l’usine textile d’une petite ville portugaise, récemment rachetée par une multinationale. Le nouveau propriétaire projette une réorganisation majeure des unités de production afin de s’adapter aux demandes du marché. Certaines sections seront fermées et environ 60 salariés licenciés. L’entreprise mettra en place un plan de licenciement collectif comme le prévoit l’article 397 du code du travail et Marcia finira probablement par pointer au chômage. Au Portugal, un licenciement est considéré comme collectif dès lors, qu’au cours d’une période de trois mois, entre 2 à 5 contrats (suivant la taille de l’entreprise) sont rompus. Ce peut être aussi une réduction d’effectif due à des évolutions du marché, de structure ou à des changements technologiques.

Si Marcia est une des licenciées, elle pourra recevoir une indemnité d’un mois par année d’ancienneté. Elle pourra aussi demander à faire partie d’un plan spécifique de lutte contre le chômage : elle percevra des allocations d’une durée variable, fonction de son âge, de sa situation familiale et de la durée de ses cotisations à la sécurité sociale ou recevra en une fois une somme destinée à la création de sa propre entreprise. Elle pourra également recevoir des allocations chômage partielles, si elle occupe par ailleurs un travail à mi-temps. Le temps du bénéfice de cette couverture sociale, elle pourra être placée dans une entreprise par un programme professionnel financé par la sécurité sociale pour une durée maximale d’un an. Autre possibilité encore, elle aura la possibilité d’accéder à une formation qualifiante afin d’améliorer son employabilité. Mieux encore, elle pourrait trouver un nouvel emploi ! Mais Marcia n’a pas de qualification et son expérience de travail à la chaine dans le textile ne lui sera pas d’un grand secours. Dans la petite ville où elle habite, les opportunités sont rares. Récemment, elle a vaguement entendu parler d’un mot à la mode, la flexicurité. Il est partout dans les journaux et au journal télévisé. Mais qu’est-ce donc que cette nouvelle voie pour l’emploi en Europe ?

A chacun sa propre version de la flexicurité

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Dans le modèle idéal de flexicurité, Marcia n’aurait pas vraiment de problème. Elle serait sans emploi temporairement, mais disposerait de solutions de rechange efficaces pour garantir ses revenus. Il y a, semble-t-il, des modèles probants dans certains pays européens. A Bruxelles, on discute justement actuellement de ce nouveau paradigme. Mais le Danemark et les Pays Bas sont loin et leurs caractéristiques économiques, sociales et culturelles bien différentes de celles du Portugal. La flexicurité reste un défi stimulant pour l’Europe et particulièrement pour les pays de la périphérie du Sud. Devrait-on importer ces expériences réussies ou devrions-nous créer nos propres solutions en partant du début ? Quelles expériences peuvent servir de standard pour évaluer les autres ? Et d’abord, qu’est-ce qui nous différencie des autres pays ? Telle est la teneur des discussions au Portugal aujourd’hui. Aucune solution n’est véritablement arrêtée.

Dans la société, les interprétations de ce concept s’opposent. Les possibilités de convergence sont loin d’être évidentes. L’OCDE insiste depuis maintenant plusieurs années sur le manque d’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers. Il nous est précisément reproché une législation du travail trop protectrice. Elle serait en matière de licenciements la plus rigide de l’union européenne. Toujours selon cette organisation internationale, les instruments encourageant la flexibilité externe restent insuffisants. Cela, alors que l’indice de rigidité des lois sur la protection de l’emploi est passé de 4,8 à la fin des années 80 à 4,2 en 2003 et que la proportion de salariés non permanents a augmenté de 12,5% en 1992 à 19,5% en 2005. Et sachant que le Portugal est le troisième pays, après l’Espagne et la Pologne, à avoir le plus fort taux de travailleurs précaires.

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Quoi qu’en dise l’OCDE, le code du travail a, au cours de ces dernières années sous l’influence de l’Europe et de ses réseaux, adopté plusieurs éléments d’assouplissement. Ainsi en 1991, fut introduit le licenciement pour inadaptation. Le contrat de travail peut être rompu quand le salarié ne peut pas s’adapter lui-même aux évolutions de son poste provoquant des pertes répétées de productivité. Il en va de même si le salarié participe sérieusement au mauvais fonctionnement des équipements sur son lieu de travail ou s’il est à l’origine de risques pour lui-même ou pour la sécurité des autres. En 1996, une loi a introduit la flexibilité du temps de travail et une autre a fixé les règles de l’emploi à temps partiel. D’autre part, le 1er décembre 2003, alors qu’une série de législations étaient intégrées dans le code du travail, des éléments de flexibilité étaient également injectés. Les partenaires sociaux ont pour le moins considéré cette nouvelle loi avec suspicion. Pour les syndicats, c’était un outil de libéralisation avec une propension à inscrire les droits sociaux sous l’emprise du droit civil. Pour les associations d’employeurs, cette réforme n’allait pas assez loin dans la remise en cause du système des relations professionnelles.

<!–[if !supportEmptyParas]–><!–[endif]–>En avril 2006, le ministère du travail et de la solidarité sociale a publié une étude préparatoire pour la réforme du code du travail de 2003. C’était une réponse à l’analyse de l’OCDE sur la régulation de l’emploi et les lois de protection du travail. Elle mettait en doute la compréhension de l’organisation de variables importantes comme l’emploi atypique et informel. Elle regrettait que l’OCDE n’ait pas mieux perçu l’efficacité de la législation dans le pays, ou d’autres facteurs environnementaux. Le document conclut qu’il fallait davantage viser des modèles de flexicurité plutôt que la recherche d’une pure flexibilité ou adaptabilité.

Insuffisantes qualifications, travail au noir, faiblesse du dialogue social… Un contexte guère favorable

<!–[if !supportEmptyParas]–> La flexicurité, telle que nous l’entendons, allie des stratégies de flexibilité du marché du travail, une organisation du travail plus adaptée et une meilleure protection des travailleurs au travers des dynamiques d’employabilité. Elle protège les individus plutôt que les emplois. Elle organise une suite cohérente de périodes de travail et de périodes de qualification. L’idée est attrayante. Mais la route est longue et les évolutions seront prudentes. En fait, il n’y a pas un modèle unique de flexicurité adapté à toutes les réalités. Il faut importer l’idée, voilà l’essentiel.

Mais cette simple idée suscite beaucoup d’inquiétude dans la société. Les partis de gauche et certains syndicats ont peur que cette flexisécurité ne se traduise par une flexibilité accrue, sans qu’elle soit accompagnée d’une sécurité. Ilda Figueiredo, portugaise communiste au parlement européen, exprimait dans un récent article d’un journal national ses craintes à ce sujet. Elle y voit une menace pour le modèle social européen, rendant les licenciements plus faciles et les emplois plus précaires. Les représentants du patronat ne sont guère plus enthousiastes à cause des coûts liés à une telle réforme. Or le déficit de la sécurité sociale est déjà sévère, et les politiques de l’emploi n’ont jusqu’ici pas eu beaucoup d’effets.

La vérité c’est qu’il faut affronter des problèmes structurels avant de pouvoir changer le marché du travail. L’employabilité suppose une haute qualification des employés et des citoyens en général. Mais en 2001, 75% des travailleurs ont des niveaux de qualification très bas et seulement 12% des résidents nationaux ont un niveau d’éducation moyen ou élevé. En réalité, le pays est le quatrième plus mauvais élève de l’Europe des 25 (selon les données de 2005). Autre facteur aggravant : le tissu économique est composé à 90% de petites entreprises avec un travail informel qui occupe une place importante.

Il n’est pas sans importance non plus que le dialogue social n’ait jusqu’ici joué qu’un rôle modeste. Il n’y a pas de consensus sur ce que devrait être le futur modèle de règlementation du travail. Mais il n’y a pas non plus de débat constructif et sérieux sur cette question. Et suivant les faibles échos qui atteignent nos rivages, la coopération sociale passe pour la clef de tout changement social durable…

Ainsi, dans un monde plus que jamais globalisé, le chemin sera long pour construire un modèle où la main d’œuvre soit solidement ancrée dans la cohésion sociale. Espérons qu’il arrivera à temps pour atteindre la tant désirée compétitivité européenne dans le cadre sécurisé de la traditionnelle protection sociale que nous tous, Européens, avons appris à respecter.

Joaquim Pintado Nunes

Traduit de l’anglais par Dominique Martinez

english version Flexicurity a long path to South

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