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par Laurent Duclos

Le 31 mars 2007, la consultation publique lancée par la Commission européenne sur le livre vert « moderniser le droit du travail » a pris fin. Ce livre a manifestement déçu l’attente travailliste. Sous le verbe cotonneux, difficile de ne pas sentir poindre, en effet, la flexicomanie communautaire. Pour autant, l’identification de nouvelles formes de dépendance, la désignation de no man’s lands statutaires, la dénonciation explicite d’une dilution de la responsabilité sociale le long des réseaux-entreprises, ouvrent une nouvelle page du présent. Mais quelques passages d’un livre qui ne compte que 17 pages ne suffisent pas à renouveler le programme d’émancipation du travailleur. C’est encore un peu gauche pour caler du droit. Le fruit, en somme, est encore vert.

Qu’est-ce qu’un livre vert ?

/Sur le site de l’Union, les livres verts sont présentés comme des « documents de réflexion » exposant un « éventail d’idées », publiés en vue « d’engager un processus de consultation au niveau européen ». Des livres dits blancs leur font « parfois » suite qui contiennent, quant à eux, des « propositions d’action communautaire ». Un tel enchaînement, du vert au blanc, ne permettrait-il pas de fixer les prémices d’un cadre européen pour le droit du travail ? Ce moyen, malheureusement, ne figure pas au programme de la Commission dans le cas d’espèce. Un coup pour rien ?

La drôle de consultation

Un livre vert peut encore être défini — depuis l’invention du procédé par le gouvernement britannique à l’orée des années 70 —, comme une « déclaration officielle (controversable) qui se singularise par sa manière d’indiquer qu’elle ne représente en aucun cas, au moment de sa publication, une intention politique déclarée » (1). Cette curieuse définition peut s’interpréter positivement. Le procédé du « livre vert » ressortit en effet à une conception expérimentale du politique : il s’agit d’articuler à l’action publique un « public », précisément, dont on ne connaît pas nécessairement les contours… mais parce que l’objet de la consultation lui-même n’est pas entièrement déterminé. Démocratiser ainsi l’expertise, n’est-ce pas se donner les moyens d’améliorer la « base de connaissances » pour élaborer de meilleures politiques (2) ?

Quid du partenariat social institutionnalisé ?

Il est intéressant, de ce point de vue, de voir comment les « partenaires sociaux » ont réagi à l’initiative de la Commission. La Confédération Européenne des Syndicats s’est émue que sur un sujet qui relève typiquement, selon elle, du « domaine de la politique sociale », la Commission n’ait pas lancé la procédure de consultation prévue à l’article 138 TCE
« (…) la Commission, avant de présenter des propositions dans le domaine de la politique sociale, consulte les partenaires sociaux sur l’orientation possible d’une action communautaire ». Selon la CES les partenaires sociaux devaient, en effet, « être consultés de manière différente, et avec un poids différent du grand public ». Noblesse oblige.

De quoi parle-t-on ?

Le plaidoyer en faveur de la flexibilité, qui constitue l’entrée en matière du livre, ne surprendra personne. C’est congénital. Au bout du compte, il va falloir ramer pour convaincre demain « catéchumènes flexicopathes » et « libres penseurs risquophobes » de communier dans la voie de la flexicurité (amen). Derrière les allusions du livre vert, on peine en effet à voir le contenu qui fera entrer la flexicurité dans le champ des positivités. Pour l’heure, il y a donc deux besoins auxquels s’identifient deux camps opposés : les représentants de l’entreprise revendiquent la flexibilité pour eux-mêmes (mais pas pour les autres), celui des travailleurs la sécurité pour leur camp. Or, à considérer ainsi que la fonction « flexicurité » doit rester bijective, nous ne parviendrons jamais à dépasser la querelle des acteurs si nous ne sommes pas capables de rompre avec cette approche binaire de la relation d’emploi.

Un partenaire social mal comprenant ?
Le problème du « partenariat social institutionnalisé » c’est encore qu’il raisonne dans les cadres hérités et fait tout, en dépit des dénégations des uns et des autres, pour s’y maintenir et y maintenir la réflexion. On se souvient ainsi de l’hypocrisie (et de la roublardise) de la fédération européenne des employeurs (BusinessEurope) dénonçant la mauvaise image que le projet de texte pouvait donner du statut de travailleur indépendant. N’était-ce pas simple pourtant ? Un indépendant est un indépendant que diable ! Des glissements de sens amusants sont repérables dans les commentaires suscités par le livre. Thérèse de Liedekerke (BusinessEurope) aurait ainsi lu un passage du livre vert évoquant la nécessité de définir ce qu’était un « employé » (i.e un travailleur subordonné) au niveau européen quand le livre parle de définir le « travailleur » en général … y compris, donc, les vrais -faux travailleurs indépendants que font proliférer les pratiques d’entreprise.
Symétriquement, les organisations syndicales semblent ne pouvoir penser les sécurités que dans le cadre de la relation salariale classique. Protéger l’insider, (le travailleur déjà protégé) et, plus largement, le travailleur juridiquement subordonné : oui ! Protéger l’autonomie de travailleurs juridiquement indépendants et corriger l’effet de la dépendance économique : euh ? A défaut de passionner les « partenaires sociaux », la question du « travailleur flou » et de « l’entreprise hybride » ne peut-elle inspirer un commentaire direct des intéressés eux-mêmes et d’ailleurs rendre plus visible ce public inorganisé ?

Les vraies questions soulevées par le livre vert

/La parution du livre vert fut précédée, comme on l’a su, d’une auto – censure de la Commission. Cédant aux pressions de la fédération des employeurs, elle avait notamment fait disparaître les intertitres mettant explicitement en avant cette question de la « dépendance économique » contre la doctrine « séparatiste » distinguant le salarié subordonné des autres travailleurs. Ce contenu n’a pas disparu et il nous semble que trois questions restent au cœur du débat. Elles portent, précisément, sur la valeur actuelle de la distinction entre travail salarié et non salarié ; le moyen de sécuriser tous les « travailleurs dépendants » ; l’extension de la responsabilité sociale à tous les acteurs du réseau (donneur d’ordre vs. sous-traitant, utilisateur vs. employeur nominal dans les relations d’emploi triangulaires, etc.)… Ne pourrait-on prendre appui sur ces réalités d’ores et déjà « hyper-flexibles » pour repenser les sécurités ? Parmi l’ensemble des interrogations portées par le livre, c’est à notre sens la plus stimulante.

Mais alors, c’est quoi le statut de ce livre ?

Dans la typologie des actes communautaires, les livres verts entrent dans la catégorie des communications, ainsi que le signale d’ailleurs un référencement en page de garde. Ce document de 17 pages porte donc le timbre de la Commission. De ce fait, le livre vert n’est pas une note blanche. Quoique la compétence de la Commission et son pouvoir d’initiative soient aujourd’hui discutés, elle conserve encore une relative maîtrise de l’agenda. On pourrait donc s’attendre à une suite. Au terme de la consultation, la Commission européenne s’était engagée à publier une nouvelle communication dite « de suivi » et à prendre une série d’initiatives parmi lesquelles figurait une communication sur la « question plus large » de la flexicurité, prévue pour juin 2007. Le problème est que, pour les raisons indiquées plus haut, la question de la flexicurité risque de s’avérer « plus étroite » et la voie moins praticable que prévu.

Laurent Duclos

Sociologue
Laboratoire des Institutions et Dynamiques Hstoriques de l’Economie ( IDHE)

(1) «… an official government document was published which went out of its way to point out that it did not, at any rate at the time of publication, represent declared government policy. The method used was to invite public discussion on the memorandum which the Green Paper contained… » Silkin (A.), 1973, « Green papers and changing methods of consultation in British Government », Public Administration, 51:477-8 Winter.
Source : site du Parlement canadien –http://www2.parl.gc.ca/Parlinfo/Pages/GreenPapersAppendix.aspx
(2) Encore faudrait-il qu’on reconnaisse, pour ce qui est du « dialogue civil », à côté du « pluralisme technocratique » typiques de la « comitologie » européenne, la capacité de la « démocratie participative » à alimenter cette base informationnelle. En ce qui concerne la « comitologie », voir CE « Principes et lignes directrices : « améliorer la base de connaissances pour de meilleures politiques », COM(2002) 713. http://ec.europa.eu/governance/docs/comm_expertise_fr.pdf

V., également, Saurruger (S.), 2006, « Démocratiser l’expertise ? », Colloque Une Europe des élites ?, Bordeaux, 27-29 avril. http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/europe/elites2006/saurugger.pdf

Voir plus loin
Revue de droit du travail, février 2007, Rubrique « Controverse », les contributions de François Gaudu, Sophie Robin-Olivier & Fernando Valdès dal Ré.

Voir aussi la documentation :
Le droit du travail en questions
Flexicurité

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