par Laurent Duclos
Des class action à la française ? C’est un des volets du projet de loi sur la consommation que le gouvernement a retiré de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 30 janvier dernier. Ce projet reviendra-t-il un jour ?
Cette procédure judiciaire, inspirée du droit américain permet de saisir un juge pour le compte d’un groupe concerné par un même litige, elle est très controversée. Certains craignent de voir émerger une nouvelle couche de « partenaires sociaux » porteuse d’un pouvoir de rééquilibrage des rapports de force et ouvrant la voie à une nouvelle lutte des « class » de consommateurs.
Jackpot justice ! L’épouvantail américain
Aux Etats-Unis, cette procédure judiciaire de class action qui permet au représentant de la classe d’agir sans mandat (sous réserve de la garantie d’opting out permettant aux personnes de sortir de l’action), a un champ d’application très étendu. Mais elle est également devenue un « business » pour les grands cabinets d’avocats américain autorisés à la publicité, au démarchage et se rémunérant au pourcentage. En la matière, le caractère spectaculaire des transactions survenues outre-atlantique tient généralement lieu d’analyse. Par exemple, on ne mentionne pas assez l’intérêt que les entreprises américaines trouvent aux class action pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles. Pour répondre de manière anticipée aux « excès » qu’il a identifiés, le législateur français est aujourd’hui tenté de mégoter son soutien au consumérisme hexagonal. Il est vrai que la procédure bute sur certains caractères de notre droit : le jugement qui profite à des bénéficiaires inconnus a priori semble incompatible avec l’interdiction faite au juge de légiférer ; la procédure d’opt out pourrait, de la même façon, remettre en cause l’autorité relative de la chose jugée ; la multiplication des intermédiaires susceptibles de représenter la classe contreviendrait à l’interdiction de plaider par procureur ; le fait que le défendeur ne connaisse pas tous ses adversaires serait une entorse aux droits de la défense ; etc. Les ennemis de la class feignent généralement de croire que ces objections remettent en cause tout le régime de la class action, en particulier l’opting out. En vérité, tout dépendrait de la nature du contentieux. Le pas à pas concernerait ainsi l’objet du contentieux –les stipulations contractuelles et la sécurité des biens d’abord, le reste ensuite – plutôt que la garantie d’opt out qui est au fondement de l’action de classe. C’est la perspective tracée par la juriste Marie Anne Frison-Roche pour l’acclimatation du procédé.
L’europe est entrée dans le vague du sujet
A la différence du parlement européen qui vient d’amender le programme d’action communautaire dans le domaine de la santé et de la protection des consommateurs, en invitant les Etats membres à multiplier les voies de recours individuelles et collectives, la Commission donne plutôt dans l’équivoque lorsqu’il ne s’agit pas de sa marotte, à savoir les infractions aux règles de la concurrence. Au sein des pays membres de l’Union européenne, les débats les plus vifs sur le recours collectif ont (malheureusement ?) porté sur le mécanisme déterminant le type de représentation dont les groupes font l’objet. Au Portugal, pays qui a fait le choix de l’opt out pour son « action populaire », sauf expression d’une volonté contraire, toute personne concernée par l’action peut être partie intégrante de la classe. Au contraire, la Suède, l’Angleterre et le Pays de Galles penchent plutôt pour l’opt in, technique en vertu de laquelle l’accord des personnes concernées doit être explicite pour qu’elles soient représentées.
Le Medef a peur de déresponsabiliser le consommateur
Une revue patronale réagissant au contenu du rapport Sudreau sur la « réforme de l’entreprise », publié en 1975, avait émis cette protestation : « dans l’entreprise, le peuple, ce sont les consommateurs. Le personnel ne représente pas le peuple de l’entreprise ». Le sentiment s’est répandu depuis qu’on ne pouvait laisser plus longtemps ce peuple sans représentation ni sans armes face aux « pratiques abusives observées sur certains marchés » (J. Chirac, 2005, Vœux aux corps constitués). A l’heure où la présidente du Medef vient de rendre public son engagement à renforcer le dialogue entre sa centrale et la société civile, son Conseil exécutif du 10 juillet 2006 s’est prononcé unanimement contre l’introduction d’une procédure des class action à l’américaine dans notre droit. Le Medef et la CGPME pressent depuis lors le gouvernement de renoncer à son projet de loi. Faut-il laisser les consommateurs à l’état de masse inorganique ?
C’était l’avis du collectif patronal reproduit en annexe du rapport du Minefi : « Le principe d’un recours collectif intenté par un « représentant » prétendant agir au nom d’un groupe anonyme d’individus ne peut en aucun cas être approuvé, d’une part, pour ne pas déresponsabiliser les consommateurs qui doivent rester maîtres de leurs choix, conserver la liberté de conduire personnellement la défense de leurs intérêts et en assumer pleinement la responsabilité et, d’autre part, pour ne pas les « instrumentaliser » en utilisant le biais de la réparation de leurs préjudices pour servir d’autres finalités, en particulier d’ordre punitif ». Un patron aurait pu produire le même libellé au XIXème pour refuser qu’un rapport collectif ne vienne « trahir » la vérité du lien contractuel permettant d’attacher chaque ouvrier, pris séparément, à son employeur. Un lien de confiance ?
La class action : instrument d’action politique ?
Il est sans doute nécessaire de rappeler que la class action visait, à l’origine, à renforcer les droits de ceux qui n’avaient qu’une capacité réelle faible ou un intérêt limité à agir individuellement en justice. En matière d’accès à la justice, la class action repose alors sur le même présupposé que le droit des relations collectives de travail : il s’agit de rééquilibrer au plan collectif une inégalité caractéristique de la relation individuelle. Autement dit, il convient de faciliter la défense collective de droits et d’intérêts individuels face à l’inocuité des défenses organisées répondant au seul « intérêt général » (des consommateurs) et à la dispersion des recours et des solutions aux litiges individuels. A l’instar de la représentation syndicale jadis, s’agissant de la conscience de classe et de la détermination de l’intérêt objectif du monde ouvrier, on peut penser que la class action opère un dévoilement qui déborde l’action juridictionnelle et son instrumentation. La pratique américaine correspond ainsi à l’idée que le respect de l’ordre public peut être également l’affaire du public. C’est la raison pour laquelle le mécanisme de la class action constitue, en réalité, un instrument d’action politique : il offre une arme au public engendré par l’action d’un pouvoir quelconque.
Or, c’est quand une « victime » devient un « public » qu’elle peut sortir de son statut de victime. Alors que nous avions su régler les rapports entre salariés et employeurs grâce à la représentation et à la négociation collective (champ de la démocratie sociale), ne peut-on imaginer un moyen de régler les rapports qui s’établissent entre des pouvoirs professionnels et des publics non-professionnels (consommateurs, actionnaires, patients, etc.) ? L’idée que le public ainsi envisagé puisse se révéler à lui-même dans l’action de classe est visiblement contraire à la conception tutélaire qui caractérise aussi bien notre approche du consumérisme que, par exemple, notre conception de la démocratie sanitaire, ou encore notre compréhension de « l’économie nationale ». Or, l’économie d’aujourd’hui se moque éperdument des frontières. D’ailleurs, de plus en plus d’actionnaires français extra-territorialisent la class action (Vivendi, EADS). L’actionnaire minoritaire sera-t-il le seul demain à pouvoir aller réclamer son dû, aux seules multi-nationales ? Au nom de la responsabilité sociale et environnementale, Alain Supiot invitait naguère à « revisiter les droits d’action collective ». On peut penser que la class action est une technique juridique particulièrement adaptée au phénomène de globalisation des marchés. A l’heure de la mondialisation, comme à l’heure de la diffusion et de la massification des risques et des crises, on peut penser qu’un tel instrument de contre-pouvoir n’est pas inutile.
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