Nous n’en avons pas fini avec la crise. Si certains avaient cru mieux résister que d’autres, si l’Allemagne continue à faire des envieux par son dynamisme économique ou son taux d’emploi, si d’autres se prétendent mêmes sortis du marasme, il est évident qu’il n’en est rien. La menace grecque, – ce pays qui nous a tant donné y compris le vocable « krisis » – est désormais surveillée comme le lait sur le feu. Mais, au delà des révoltes sociales et d’un plan d’austérité sans équivalent au monde, il faut nous interroger sur certains des mécanismes politiques et juridiques du plan d’aide à la Grèce, tant ceux-ci soulèvent de questions quant à leur légalité, leur légitimé et notre avenir commun d’Européens. Si tant est que nous nous en souhaitions toujours un.
En matière de droit grec, de droit européen voire de droit international – celui de l’OIT par exemple – ce plan d’aide est-il légal ? Rappelons qu’il émane d’une troïka composée de trois acteurs internationaux : l’Union Européenne – ici prise à la fois dans sa composante des 27 Etats membres réunis, mais aussi dans celle de la Commission -, la BCE, composante à part du fait de sa fameuse indépendance, et le FMI. Mais quelle est la nature des accords et mémorandums que cette troïka a conclu avec le gouvernement grec ?
S’agit-il comme prétendent plusieurs juristes grecs d’une sorte de traité international qui, portant sur des domaines définis par la Constitution grecque et comportant des charges pour chaque individu, ne peut être approuvé que par un vote aux 3/5 du Parlement ? La troïka et le gouvernement grec actuel prétendent que non. Plusieurs experts sont d’un avis contraires et la question est désormais pendante devant le Conseil d’État hellénique qui devra trancher, sachant que le gouvernement actuel ne dispose que d’une faible majorité parlementaire. Il n’est pas interdit de penser qu’une question de même nature pourrait être posée demain au Portugal, à l’Irlande voire à l’Espagne… et à d’autres.
Mais allons plus loin. Les mémorandums liés au plan d’aide à la Grèce comportent de multiples éléments concernant les salaires, la sécurité sociale, l’organisation de la fonction publique ou encore la négociation collective. Toutes matières hors de la compétence de l’Union Européenne dont les traités ne comportent que des dispositions sociales relativement réduites. Or les fameux accords et mémorandums imposés par la troïka, vont très au-delà desdits traités tout en faisant fi de certaines de leurs dispositions. C’est là sans doute que la leçon grecque devra être méditée. Car si tout cela est possible en temps de crise, si ce fédéralisme à la fois non dit et de rigueur se déploie – ce qui n’est pas forcément critiquable – quid de ses potentialités quand le tempête faiblira et que l’heure de la reprise, ou plutôt, de la reconstruction aura sonné ?
La plupart des gouvernements européens se sont ligués pour vider de son sens ce qu’aurait pu signifier un progrès social partagé. L’exercice de l’agenda social s’est amenuisé au fil du temps et le seul qui subsiste est celui de réformes visant à détricoter ce que d’aucuns continuent d’appeler l’Etat-providence. Celui-ci n’est pas exempt de défauts, parfois graves. Mais cette déconstruction n’a rien d’une vision basée sur des principes de justice ou de progrès. Et la crise – ici entendue comme systémique – a sans doute fait tomber l’un des derniers faux-semblants, la fameuse flexicurité qui, regroupant des choses très diverses, avait néanmoins un point central : celui d’un échange entre plus de souplesses d’un côté et plus de sécurités de l’autre. Ce paradigme a vraisemblablement vécu.
Revenons alors à la crise grecque. Si tant est que celle-ci soit endiguée, il nous faudra repenser notre futur commun d’Européens. Et pour cela faire bon usage de mécanismes qu’aucun traité n’avait prévu mais que la crise – notamment celle de l’euro – aura mis en place. Aujourd’hui pour le pire. Et, espérons-le, demain pour le meilleur. Que Metis, déesse de la prudence et de la ruse, nous entende et nous aide !
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