Les partisans d’une substitution de la TVA aux cotisations sociales soulignent son caractère favorable à l’emploi et sa neutralité vis à vis du financement de la sécurité sociale. D’autres considèrent qu’une telle réforme acte le fait que le futur accroissement des dépenses sociales ne pourra être financé que par une augmentation des cotisations. L’exemple allemand est éclairant. En 2007, Metis avait publié cette analyse d’Odile Chagny, qui y ajoute les premiers éléments de bilan : l’effet a été marginal.
Le projet de basculement des cotisations d’assurance chômage sur la TVA a été une proposition phare de la CDU-CSU, il s’agissait bien dans sa conception initiale d’une « TVA sociale » : la totalité des trois points de relèvement devait être affectée à une réduction de deux points du taux de cotisation chômage. L’objectif de désinflation compétitive, largement invoqué en France dans le débat, a été secondaire en Allemagne. Ce qui peut se comprendre, étant donné le redressement spectaculaire de la compétitivité des entreprises allemandes depuis le début des années 2000, mais au prix d’un recul annuel de 0.45% du pouvoir d’achat entre 2001 et 2006. Dans son rapport de fin 2005, le Conseil des Sages mettait en avant des arguments d’équité et se basait sur les résultats de différentes études pour préconiser plutôt un basculement mixte sur l’impôt sur le revenu et la TVA.
Prime à la réduction du déficit budgétaire plutôt qu’aux taux de cotisation
Le projet final a été adopté en juin 2006, avec une ambition sociale nettement revue à la baisse et une ambition budgétaire nettement revue à la hausse, à un moment où l’Allemagne faisait encore l’objet d’une procédure pour déficit excessif et où la plupart des instituts de conjoncture prévoyaient une croissance assez modérée pour 2006 et 2007 (respectivement +1,8% et +1,2%, contre +3,1% in fine pour 2006).
La priorité donnée à la réduction du déficit budgétaire a conduit le gouvernement à affecter la hausse de la TVA à hauteur d’un tiers seulement au financement de la baisse des taux de cotisation, les deux autres tiers ont été affectés au budget fédéral. Sur les 2,3 points de baisse du taux de cotisation à l’assurance chômage, seule la moitié a été couverte par la hausse de la TVA. L’autre moitié est revenue à l’agence fédérale du travail dont le solde financier a été largement excédentaire en 2006, du fait de l’amélioration du marché de l’emploi, mais aussi de l’entrée en vigueur de la réduction de la durée d’indemnisation à l’assurance chômage.
Si l’on tient compte du relèvement de 19,5 à 19,9% (garanti par la coalition jusqu’en 2009) du taux de cotisation à l’assurance invalidité-vieillesse et du relèvement de 14,2 à 14,8% du taux de cotisation des caisses d’assurance maladie, le taux institutionnel de cotisation sociale s’établit en 2007 à 40,6%, soit à peine supérieur au seuil symbolique de 40%, franchi en 1996, et en deçà duquel, l’ensemble des gouvernements en place depuis lors s’efforce de revenir.
Loin d’être équilibré, le « paquet TVA » se solde donc par un supplément net de recettes pour l’Etat de l’ordre de 0,4 point de PIB, dont plus de la moitié est supportée par les ménages, via la hausse de l’inflation. L’impact sur les ménages du premier décile sera supérieur d’environ 30% à celui du neuvième décile, alors même que l’Allemagne est l’un des pays de l’UE15 où les inégalités salariales sont désormais parmi les plus élevées. La mesure mise en place en janvier 2007 en Allemagne s’inscrit en fait dans la suite logique des réformes antérieures de l’assurance chômage et de l’assurance invalidité-vieillesse : elle ne fait qu’entériner le choix de limiter la part des ressources nationales affectées aux régimes sociaux contributifs, de favoriser le recours croissant à la protection individuelle, au risque de développer de la pauvreté et de fragiliser une cohésion sociale déjà bien malmenée depuis une dizaine d’années en Allemagne.
En 2012, alors que le débat revient en France, quels enseignements peut-on tirer de l’expérience de TVA sociale en Allemagne quatre ans après ?
La TVA n’ayant que très peu été sociale et essentiellement affectée à la réduction des déficits publics, l’effet (faible par définition) sur la compétitivité a été a posteriori peu documenté, et peut être considéré comme marginal par rapport aux effets propres de la modération salariale. Plus d’enseignements peuvent en être tirés en termes de « timing ». L’impact d’une hausse de TVA (compensée partiellement ou totalement par une baisse du taux de cotisations sociales) dépend en première étape du comportement de marge des entreprises. Dans le contexte de fort regain de croissance engagé en 2005, les entreprises allemandes ont été tentées de répercuter une part importante de la hausse de la TVA sur leurs prix de vente, sans puiser dans leurs marges, historiquement élevées. Il en est résulté un net frein sur la consommation des ménages (-0.2% en moyenne en 2007), dont les effets récessifs ont été limités par le dynamisme des exportations (+3,4% pour le PIB en 2007) : une situation conjoncturelle peu comparable à celle qui prévaut à l’heure actuelle en France.
Dans tous les cas, les stratégies de ce genre sont non-coopératives, car elles augmentent les prix des produits importés. La hausse de la TVA était peu adaptée en 2007, a fortiori elle le paraît encore moins à l’heure actuelle, au vu de la pression sur les salaires dans la zone euro.
Odile Chagny, économiste au Centre Etudes et Prospective du Groupe Alpha
Si les arbitrages mobilisés en Allemagne dans le débat sur la réforme du financement de la protection sociale sont en grande majorité les mêmes qu’en France (prestations assurantielles/prestations de solidarité, équité/optimalité fiscale, soutenabilité/compétitivité)., trois particularités méritent en préambule d’être soulignés :
L’ancrage plus marqué qu’en France au principe de l’assurance du revenu salarial a alimenté une importante controverse sur le chiffrage des prestations financées par cotisations et ne relevant pas du principe assurantiel (Fremdversicherungsleistungen), qui représenteraient selon les estimations les plus récentes entre 7 et 9 points de cotisations.
L’incapacité à dégager un consensus politique sur une réforme d’ensemble du financement s’est en particulier traduite par l’absence de mise en place d’une politique générale d’allégements de cotisations sociales, pourtant préconisée par certains experts à la fin des années quatre-vingt dix. Lorsque des allégements ont été mis en place en faveur des peu qualifiés, ils n’ont que très marginalement été assortis d’un maintien des droits (cas des mini et des midi jobs).
La volonté clairement affichée de restaurer la compétitivité coût des entreprises, l’augmentation du poids des prestations non contributives se sont néanmoins accompagnés d’une baisse continue de la part des cotisations dans le financement de la protection sociale dans le courant des années 1990 (70,4% en 1992, 63,8% en 2004). Le recul est plus faible qu’en France (-12,4%), mais légèrement au dessus de la moyenne européenne (UE15).
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