En Allemagne, le travail est synonyme d’impératif économique, dont les conditions font peu débat. Des interrogations apparaissent cependant sur l’austérité, la justice sociale et la démocratie européenne. Entretien avec Ulrich Mückenberger, juriste et politiste
Vous aviez écrit Arbeit 2000, Le travail au seuil du 21ème siècle : Propositions pour un nouveau régime de travail en 2001. Y a-t-il des évolutions qui posent la question du travail en des termes différents et quels sont les éléments de stabilité ?
Si je devais écrire Le travail au seuil du 21e siècle aujourd’hui, je conserverais les quatre préoccupations centrales avec sans aucun doute des actualisations et des modifications.
Primo, la question de la citoyenneté dans l’entreprise se pose plus que jamais. Le stress et le surmenage au travail, la concurrence et le harcèlement entre employés ont pris une ampleur menaçante. La dignité des conditions de travail et la participation juste des salariés aux décisions de l’entreprise devraient monter en puissance. Secundo, la question de l’égalité des genres sur le marché du travail n’est pas résolue, la politique a même abandonné l’ambition de prendre des mesures vraiment efficace.
Tertio, les lignes bougent sur la question du temps de travail : à l’intérieur de l’entreprise, dans les conventions collectives et au niveau juridique. Le temps de travail hebdomadaire et la durée de la vie active ont été allongés et flexibilisés en faveur des entreprises. Dans Le travail au seuil du 21e siècle, « l’optionalisation du temps de travail », l’organisation temporelle qui tient au mieux compte de l’intérêt des travailleurs, elle reste encore largement à faire. Le sujet de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale a pris de l’importance, mais elle est plutôt rhétorique et dépend de la bonne volonté des employeurs, au lieu de reposer sur des règles juridiques contraignantes.
Enfin, le sujet de l’exclusion du marché du travail s’est imposé. L’Allemagne a relativement bien résisté aux conséquences de la crise financière grâce à la mise en place d’un chômage partiel massif. Mais en parallèle, la segmentation du marché du travail s’est aggravée. Les contrat à durée déterminée, l’intérim et les temps partiels contraints ont explosé, surtout au détriment des jeunes. Et ce phénomène ne fait pas du tout débat. Certes le manque de main d’œuvre augmente le besoin de qualification et d’emploi (cependant, le système dual de formation professionnelle continue à avoir des effets positifs), mais les moins qualifiés et les seniors en pâtissent.
En somme, les problèmes que nous avions soulevés et que nous voulions résoudre se posent avec une plus grande acuité 20 ans plus tard.
Comment la question du travail est-elle évoquée aujourd’hui en Allemagne par les Politiques ? Est-il question de sens, de valeur ?
Le discours politique sur le travail s’est décalé au cours des 20 dernières années. Les interrogations autour du sens, de la signification sociale et de la valeur du travail jouent un rôle encore plus réduit.
En revanche, les taux d’activité et du chômage font la une. Les Allemands sont fiers d’avoir résisté à la crise. Peu de personnes critiquent le fait que les salariés et les syndicats grecs soient privés de leur droits suite à cette crise.
Ce qui est devenu essentiel, c’est « l’impératif économique » dans la vie au travail et dans le droit du travail. Les questions sur l’organisation de la vie active ne sont pas jugées ou décidées sur des critères de justice sociale, mais plutôt sur des critère de fonctionnement économique.
Cela vaut aussi pour des thèmes importants comme l’égalité homme-femme, la conciliation de la vie personnelle et professionnelle et la formation des jeunes. certes le discours de dérégulation (à la Margaret Thatcher) a perdu du terrain – même les conservateurs reconnaissent que la régulation des marchés du travail et des conditions de travail doivent être préservées et améliorées. Cependant les contenus de la régulation correspondent davantage à des intérêts économiques de court-terme.
Dans ce contexte, les Allemands sont mitigés sur l’élection de François Hollande à la Présidence de la République française. Certains pensent que la politique d’austérité européenne menée par l’Allemagne est en danger. D’autres trouvent Hollande sympathique, mais ne sont pas sûrs qu’il ait des conceptions alternatives crédibles pour la politique européenne et qu’il puisse ou veuille vraiment les mettre en œuvre.
En Allemagne que disent les politiques et les syndicats sur les travailleurs pauvres, la précarité, l’intérim. Est ce que le minijobs, le chômage partiel (Kurzarbeit) contribuent à dévaloriser le travail ?
Même les syndicats sous-estiment la précarité en Allemagne (qui a immanquablement des conséquences sociales et politiques). L’exception est l’activité précaire qui menace les travailleurs « normaux » des filières principales. IG Metall a mené une politique efficace pour l’harmonisation des salaires des intérimaires avec ceux des travailleurs « normaux » grâce à des actions en entreprise, une réglementation tarifaire et un travail d’opinion.
De plus, le discours sur la pauvreté et la fracture sociale gagne à nouveau en résonance. Mais il ne fait pas le rapprochement entre la pauvreté grandissante et les changements et les segmentations produites par la structure du système d’emploi.
Le chômage partiel est perçu comme un simple instrument de la politique de l’emploi. Il sert à garder en emploi la main d’oeuvre qualifiée et compétente dans les phase de ralentissement de la production. Cela évite que le travail soit dévalorisé. Mais ce n’est pas pour autant lié à un discours sur la valeur du travail. Il existe des initiatives pour la baisse du temps de travail, mais elles ne sont pas liées aux leviers techniques issus du droit social qu’il soit d’origine conventionnelle ou légale.
L’austérité et les réformes structurelles exigées par l’Europe font-elle débat en Allemagne ?
J’ai le sentiment qu’un nouveau débat sur la justice sociale émerge en Allemagne, comme en Europe. Alors que les banques ont exigé des milliards pour les sauver de la crise qu’elles ont provoquée, les Politiques, les chefs d’entreprise, les grands sportifs s’offrent des rémunérations démentielles, il apparait que leur culot est en total discordance avec la façon dont les « petites gens » sont dépouillés de leurs biens et de leurs droits. Il suffit de voir la mise en place des réformes Harz IV !
Si bien qu’une question démocratique se pose avec encore plus d’acuité : Est-ce que le système Merkozy, dont l’Europe souffre aujourd’hui, est le fruit d’un processus politique et de décision vraiment démocratique ? Ou cela a-t-il été plus ou moins « marchandé » par des chefs d’exécutifs dans des antichambres et des arrière-boutiques ?
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