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 Notre dossier du mois porte sur l’intégration, sujet ô combien actuel en Europe, y compris dans sa partie nordique si souvent proposée comme modèle.. C’est pourtant un autre sujet que j’aimerais évoquer aujourd’hui car il touche aux mutations souvent silencieuses des entreprises européennes.  Depuis plus de 30 ans, les logiques de diminution des coûts et d’externalisation des risques ont transformé en profondeur le paysage productif. En conséquence, « acheter » – qui est souvent un « faire faire »  – a pris le pas sur  « faire » ou « produire » : il n’est donc pas étonnant que les achats représentent en moyenne plus de 50 % du chiffre d’affaire des entreprises, pour atteindre dans certains cas (de moins en moins isolés) la barre des 80 %. Cette part des achats illustre à elle seule l’importance stratégique qu’a aujourd’hui pour les entreprises la relation client-fournisseurs.  

 

Elle traduit aussi combien les entreprises sont devenues interdépendantes. Essor du BtoB, des secteurs de fournitures de biens et services interentreprises, montée en puissance des groupes, y compris de petites tailles, ou encore des centres commerciaux, développement des réseaux de franchises, des centrales d’achats, des services communs mais aussi des clusters, etc. : de nombreux indicateurs confirment cette réalité économique.   Ces transformations induisent à leur tour toute une série de conséquences sur les organisations en matière de flux de biens, de services et de personnels, de partage de la valeur ajoutée, de nécessité accrue de coordination ou encore de nouvelles relations de dépendance et d’interdépendance.  Dit autrement, l’entreprise intégrée et intégratrice a vécu pour laisser place massivement à l’entreprise en réseau qui de ce fait redessine les contours de l’entreprise et élargit son périmètre : c’est ce que d’aucuns appellent « l’entreprise étendue ».    Peu théorisée et documentée, peu connue des catégories économiques, juridiques ou sociologiques, « l’entreprise étendue » est une notion qui ne coule pas de source. Aucune de ses parties prenantes ne s’y réfère explicitement. De fait, elle renvoie à des configurations très variées qui semblent s’ordonner autour de deux grandes typologies :   Celle des parties prenantes, internes et externes ou encore celle de l’influence qui amène à questionner un territoire très vaste à la fois économique social, politique, territorial, Celle des réseaux productifs qui tend à privilégier la manière dont s’organisent les relations interentreprises, directes et indirectes.  

 

La dynamique de ces ensembles diffère considérablement mais ils ont tous en commun deux aspects: celui d’une organisation productive imbriquée d’une part, celui d’un rapport au social fragmenté et fragmentaire d’autre part. Historiquement en effet, le social ne s’est pas construit sur la relation inter-entreprises mais a été le fait des entreprises elles-mêmes, des branches, parfois des territoires, sans parler du niveau national voire européen. La difficulté de l’entreprise en réseau réside, sur ce sujet comme sur bien d’autres, dans la multiplicité des centres de décision autonomes et des dynamiques économiques, mais aussi dans la diversité des hommes et des femmes employés, du point de vue de leurs métiers, de leurs statuts, de leurs temps passé à des activités communes, de leurs capacité à être représentés collectivement etc…    Pourtant la représentation de l’entreprise – et le discours qui va avec – fait encore largement fi de ces interdépendances ; elle continue à focaliser l’attention sur les maillons singuliers plutôt que sur la chaîne de valeur ou l’écosystème productif. Ce faisant elle contribue à ignorer les formidables déséquilibres qui la traversent et les nombreux dysfonctionnements qu’elle occasionne tant sur le plan économique que social ou environnemental. Or, aujourd’hui et de plus en plus, il apparait que la performance globale des chaînes de valeur ne se résume pas à celle de leurs diverses composantes et que le tout est parfois inférieur à la somme des parties.

 

Devenir du travail du fait de cet outsourcing généralisé, gestion mieux coordonnée et management d’équipes imbriquées, rareté des ressources, soucis de traçabilité et de qualité, enjeux de réputation ou d’équité devenus très sensible dans nos sociétés, nécessités d’espaces étendus de dialogue social couvrant des collectivités de travail souvent dispersées : il y va désormais d’une nouvelle conception de l’entreprise en Europe, plus à même d’affronter la globalité des enjeux et de sa performance. Et partant de tout un potentiel de reconfiguration du social qui ne peut plus aujourd’hui se contenter de rafistolages  précaires ou de défenses obsolètes.    

 

 

PS : on lira sur ce sujet la note publiée par ASTREES en avril dernier et intitulée : « L’entreprise étendue », une réalité sociale émergente

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