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En Europe, les services publics souffrent aujourd’hui beaucoup. En Grèce, en Espagne, en Roumanie, en Hongrie, au Portugal ou au Royaume Uni, la potion austère a pour noms licenciements, baisse des salaires et des avantages salariaux, mobilités forcées etc. Ailleurs, notamment en France ou en Belgique, les réorganisations sont en comparaison plus douces et se traduisent, au moins jusqu’à présent, par des départs naturels non remplacés, des transferts volontaires ou des gels salariaux. Derrière ce paysage, ce sont pourtant des choses ô combien structurantes pour l’avenir qui se mettent en place.

 

Management, externalisation, médiatisation : le contrat brisé
Le management se transforme. Il en va du recrutement, beaucoup plus ouvert, pour les postes de responsabilité ou bien, et sous des formes beaucoup plus précaires, pour des postes d’exécution. Il en va aussi de l’introduction massive du reporting, via des indicateurs multiples qui occupent de manière excessive et parfois inutiles les agents ; ce reporting tient lieu d’alpha et d’oméga du pilotage sans pour autant suppléer au « sous management » qui caractérise trop souvent ce secteur. Enfin, la conduite du changement, confiée à des managers peu autonomes et peu formés, laisse le personnels sans voix ni capacité à participer positivement aux mutations en cours.

Autre trait marquant : l’externalisation. De nombreux services publics sous-traitent une partie de leurs fonctions supports (achats, maintenance, gestion du personnel, systèmes d’information, sans parler des traditionnels accueils, restaurations etc..) ou de leurs compétences (renseignements du public transférés à des hot lines diverses, gestion de services ou d’infrastructures comme ceux de l’eau, de transports locaux, de l’emploi etc..). Souvent synonyme de paperasserie et de démarches décourageantes, l’administration se met online en quête d’un choc de simplifications (et sur ce pont l’hexagone est très en retard..) et transfère ce faisant aux citoyens la réalisation de nombreuses opérations. Ce mouvement va croissant et les pouvoirs publics ici raisonnent comme les entreprises : mieux vaut-il faire, ou mieux vaut-il faire faire, ou encore acheter ?

Un mot aussi de la médiatisation. Nombreux sont les gouvernements qui recourent à l’opinion et à la rhétorique anti agents publics pour tenter de légitimer certaines réformes. Trop mettent en scène l’action publique sur le mode de l’urgence alors que bien des sujets – l’insécurité, les Roms, l‘éducation – réclament du temps, de la constance et de la pédagogie. Mais la conduite du changement, par ailleurs indispensable tant les besoins d’amélioration des services au public sont patents, s’accommode mal des soucis électoraux de court terme.

Tout cela trouble – le mot est faible – les agents publics, quels que soient leurs statuts très divers selon les pays. La remise en cause de l’emploi stable, voire à vie pour les pays comme la France où l’on en bénéficie encore largement, ne s‘accompagne pas d’une gestion responsable des transitions et de mobilités. L’éthique du service public, parfois surglorifiée dans le passé, est désormais sacrifiée sur l’autel des économies alors qu’elle nécessitait plutôt d’être refondée. Bref, cela brise le contrat moral et social sans qu’une autre forme de contrat, acceptable, négocié et accepté le remplace. Et le dialogue social, au mieux réduit à accompagner ces réorganisations, n’en peut mais. Comment s’étonner dans ces conditions que croisse le mal être et avec lui l’absentéisme ?

 

Des alternatives au nouveau management public ?
Ce qui est en cause ici c’est la mise en place, accélérée par la crise, du « nouveau management public », doctrine qui consiste à aligner les modes d’organisation, de direction et de reporting sur les pratiques du secteur privé. Accenture, KPMG, Mac Kinsey et consorts, appelés à œuvrer par des gouvernements de toute tendances, diffusent partout les mêmes modèles. La France, avec sa RGPP puis sa « modernisation de l’action publique » n’échappe pas à cette vague, pour le meilleur (parfois), pour le pire (souvent) ! Les diktats des ministères des finances ou des institutions internationales comme la BCE, le FMI, la Commission ou autres ressemblent fort, toutes choses égales par ailleurs, à celle de la finance sur l’économie réelle. Avec les dégâts que l’on sait.

Or, il ne s’agit pas de faire plus avec moins : il s’agit d’abord de faire mieux. La crise pourrait être l’occasion de vastes débats et orientations sur les besoins sociaux, le rôle et les missions des services publics à 10 ans. Mais en général, les débats sont conduits à la hussarde, confinés à des cercles restreints, peu ouverts aux citoyens comme aux partenaires sociaux : l’urgence ou l’efficacité priment. En outre, au-delà du nombre et des statuts d’emplois, ce sont leurs évolutions ainsi que celles des organisations à moyen terme qui sont en cause : par exemple, qu’en sera t-il demain des notions de soin, d’éducation ou de défense et des métiers qui en découlent ? Comment assurer au citoyen des services à la fois proches, efficaces et individualisés ? Sans parler des alternatives : les comparaisons européennes montrent qu’il y a mille et une manières, bonnes ou mauvaises, d’assurer des services d’intérêt général. Or les diverses options sont rarement sur la table et la méconnaissance des expériences souvent abyssale, enfermant les débats dans une opposition entre anciens et modernes souvent stérile.

En Europe, la crise et l’austérité nous font depuis quelques années prendre des chemins discutables, hasardeux, pour ne pas dire coûteux. A cet égard, les enjeux de l’évolution des services au public sont cruciaux pour le modèle européen et à sa capacité à combiner un vivre semble convenable à une performance globale, mais aussi soutenable.

 

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