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En ce début 2014, beaucoup d’Européens ont le blues. La défiance des peuples envers les élites a atteint dans certains pays un niveau inégalé. Elle touche la plupart des pays, à des degrés cependant très variables, comme elle touche l’Union Européenne en tant que telle (où 20 pays sur 28 ont vu la confiance chuter de 10% à 40% en 5 ans). Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest du continent, les facteurs explicatifs sont à la fois complexes et peu homogènes. Et la crise peut expliquer ici ou là certaines choses. Réfléchissons néanmoins sur l’un d’eux : le lien entre défiance, élites et blocage de l’ascenseur social.

 

Aujourd’hui plus d’un Européen sur deux estime être en état de régression sociale, les Français étant les plus « atteints » ! Peur chômage, de la précarité, des difficultés financières, de la régression sociale : en la matière, la France, l’Espagne et la Pologne décrochent, les Britanniques eux stagnent, alors que les Allemands et les Italiens progressent légèrement. Seuls les Suédois semblent garder foi en l’avenir. Il n’est pas étonnant que ce soient les mêmes pays – sauf les pays nordiques – où l’ascenseur social est grippé ou bloqué quand il ne devient pas un descenseur.

 

Cette spirale négative déborde sur le politique : ces dernières années, la confiance dans le système politique et le degré de satisfaction démocratique ont considérablement chuté en Europe, l’Irlande, la Slovénie l’Espagne et au top, la Grèce suivie de peu par la France, étant les plus affectées! Les diverses politiques nationales n’y sont pas pour rien mais la perception qu’ont les populations de leurs élites dirigeantes et de leurs institutions pèse lourd. En France une enquête récente plaçait au sommet (plus de 65 %) de la confiance institutionnelle les hôpitaux, l’armée, la police, l’école et les associations ; au bas de l’échelle (moins de 30%) figuraient les syndicats, les médias et, au fond, les partis politiques. Enfin, la corruption s’est répandue : selon un rapport que vient de publier la Commission européenne, elle coûterait quelque 120 milliards d’euros par an aux 28 pays de l’Union européenne dont aucun n’est épargné, en dépit de fortes variations. Comme l’explique la commissaire européenne aux affaires intérieures, « la corruption sape la confiance de ces derniers dans les institutions démocratiques et l’Etat de droit, nuit à l’économie et prive les pouvoirs publics des recettes fiscales dont ils ont besoin ».

 

Dans ce contexte, la montée de mouvements populistes voire extrêmes en Europe centrale et en Europe du Sud, mais aussi en France, en Belgique, au Royaume Uni, aux Pays Bas ou dans certains pays nordiques n’a rien d’étonnant. Les tea parties ont de beaux jours devant eux ! Quels que soient leur instrumentalisation et leur caractère parfois aussi peu rationnel que sectaire, ils sont un symptôme de cette défiance pour ne pas parler, comme en Ukraine aujourd’hui, de fracture. 

 

Il y a mille et une raisons pour que l’Europe se transforme et se réforme. Mais en ces temps de mesures controversées, il faut s’interroger sur leur sens et leur effet systémique. Les indices macroéconomiques classiques donnent-ils la mesure de la capacité de rebond d’un pays, de sa capacité à faire et à donner envie de faire ? Rien n’est moins sûr. Il en va de même avec le projet de pacte de responsabilité à la française. Est-il le nouveau produit d’une certaine élite économico-administrative et qui risque de faire pschitt ? Est-il au contraire à même de provoquer un choc de croissance tournée vers l’avenir ? La croissance illimitée, irréfléchie, quantitative, enregistrée au siècle dernier a vécu. La croissance de demain a besoin d’une autre qualité, d’une autre entreprise, d’autres paramètres et objectifs. En prend-il vraiment le chemin ?

 

Or c’est là qu’intervient un des maux français, à savoir son élitisme. La reproduction sociale n’a jamais été aussi forte, le monopole de certaines castes aussi étendu. Les résultats scolaires du pays en témoignent mais il y a bien d’autres signaux d’alerte. Pourtant ici rien ne change. La condescendance d’une certaine élite n’est pas seulement mal perçue à l’étranger, elle est désormais devenue insupportable pour une bonne partie de l’hexagone. On peut dénoncer, surtout en ce moment les dérives sectaires, populistes, xénophobes voire irrationnelles de certains. Mais ceci, comme la censure, ne sert pas à grand-chose si l’on ne chemine pas vers autre chose.

 

Et une partie de cette autre chose, c’est de substituer au « faire pour » le « faire avec ». C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire mais prenons deux exemple dans des domaines chers à Metis pour nous en convaincre.

 

Au début des années 2000, lorsque Tony Blair fit le diagnostic de la compétitivité britannique, il souligna la faible productivité et la relative faible qualification d’une partie non négligeable des salariés outre-Manche. Parmi les mesures prises il y eut celle de créer des représentants salariés en matière de formation, les fameux learning reps désignés par les syndicats et chargés d’une part d’évangéliser (vous me passerez cette formule peu « laïque »!) les salariés peu qualifiés et de l’autre, de monter des actions de formation avec les employeurs et les organismes ad hoc. Que firent les syndicats britanniques ? Ils désignèrent des milliers de représentants, pour beaucoup parmi les salariés peu qualifiés – dont beaucoup d’immigrants ! – afin que ce soient eux qui donnent envie aux autres d’y aller. Le bilan fut plus que positif mais David Cameron, en bon conservateur qu’il est, y mit fin. En France rien de tout cela ou presque en tout cas jusqu’à présent : la formation, initiale et continue, est très peu participative. Les injonctions à la formation ne passent pas…et l’on s’étonne ensuite que d’aucuns y résistent ?! Bref qu’il s’agisse de la première ou de la seconde chance il urge de procéder autrement.

 

Il en va de même pour l’emploi des jeunes. Combien d’initiatives ont été prises en la matière depuis quelques décennies ? De plans d’urgence en contrats aidés se sont succédées depuis 35 ans toute une palette de mesures. Mais pour quels résultats ? Il faut certes booster l’activité afin que celle -ci crée des emplois mais encore faudrait-il savoir de quels emplois ? Sur ce plan quid de la participation des jeunes à la construction de leur avenir ? Comment faire appel à leur inventivité, à leurs capacités plutôt que de les encourager à partir ? Là encore, notre pays fait pour et à la place de !

 

C’est pourquoi le redressement va bien au-delà d’un pacte social à l’ancienne. Il implique la contribution du plus grand nombre tant des économies mondialisées comme les nôtres requièrent désormais inventivité et diversité ! Il y a ici un chantier énorme qu’il ne faut plus contourner au risque d’échouer, et qui plus est, gravement.

 

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