A quoi joue Pierre Gattaz ? En demandant que la France « sorte » de la convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui établit une norme mondiale en matière de licenciement, le patron des patrons français a franchi une limite. Nouvelle provocation qui s’ajoute à bien d’autres sur le salaire minimum ou les seuils sociaux ? Coup de buzz ? Sans doute mais le ton est donné et l’atmosphère en France et en Europe s’y prête.
Cette fameuse convention 158 (1) procède, au niveau international, d’un équilibre puisqu’elle reconnaît à l’employeur le droit de licencier pour un motif lié à l’aptitude ou à la conduite du salarié et, au travailleur, celui de ne pas être injustement privé de son emploi. Concrètement, elle exige que la rupture d‘un contrat de travail s’accompagne d’un motif valable, qu’une possibilité soit donnée au salarié de répondre aux allégations formulées, qu’une période de préavis et qu’un droit de recours contre une décision injustifiée devant un organisme indépendant et impartial soient prévus…. Ces bases, très largement acceptées en Europe et ce, convention 158 de l’OIT ou pas, se heurtent depuis des années à de multiples contestations patronales : ici l’on réclame que l’ancienneté minimale soit revue à la hausse pour bénéficier des dites protections, là on demande que les sanctions pour licenciement injustifiés soient revues à la baisse, ailleurs que l’accès aux tribunaux soit restreint…Des attaques du même ordre sont menées, au prétexte de simplification administrative, contre les directives européennes et leurs clauses de non-régression ou encore contre la charte européenne des droits fondamentaux (dont l’article 30 rejoint les principes de la fameuse convention OIT). Et tout cela au nom du fait – par ailleurs jamais démontré – que la protection contre le licenciement porterait atteinte à l’emploi.
Parallèlement l’on assiste à la montée des contrats dont la rupture est dépourvue de toute procédure : CDD, intérim, contrat zéro heures dont nos voisins britanniques abusent déjà massivement, pour ne rien dire des contrats dits commerciaux qui échappent à toute législation du travail. Mis bout à bout, ces pratiques et revendications patronales visent à faire de la relation de travail un contrat parmi d’autres et dont la spécificité, reconnue depuis 150 ans au moins, devrait être sacrifiée sur l’autel de l’emploi. Cette banalisation est d’ores et déjà assez avancée, mais l’on ferait bien de réfléchir avant d’aller plus avant dans cette voie. La demande de sens dans le travail n’a jamais été aussi grande comme en attestent tous les managers, et encore plus ceux qui encadrent les générations montantes : il devient de plus en plus difficile de s’exonérer du « pourquoi ». Est-il bien avisé de vouloir en prendre le contrepied ? En outre, le risque de « mercenarisation » du travail qu’emporte une telle banalisation n’a rien d’une bonne nouvelle pour les entreprises, du moins celles friandes d’engagements professionnels forts. Enfin, si la France en venait à s’en prendre au socle de droits sociaux internationaux – dont elle a historiquement pris la tête et dont le MEDEF a toujours soutenu la nécessité – les ravages en termes d’image pour le pays comme pour ses entrepreneurs seraient dévastateurs à l’échelle internationale.
Il serait triste de confondre opportunités et inanités, innovations et régressions. Ce moment de crise nous propose les deux, à foison. Le mouvement patronal doit-il continuer à se laisser aller à la médiocrité en privilégiant les secondes ? On aimerait penser que non.
Note(1): Les conventions internationales du travail régulièrement signées et ratifiées, ce qui est le cas de la convention 158, ont valeur de traité international et sont à ce titre non seulement intégrées dans notre ordre légal mais supérieur à notre ordre légal interne ou national.
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