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par Antoine Naboulet, Claude Emmanuel Triomphe

S’engager au travail ? Qu’est-ce que cela peut signifier aujourd’hui pour les jeunes ? Pour y répondre, Metis reprend ici les grandes conclusions du travail mené par ASTREES en France auprès des moins de 30 ans et ce à partir d’une enquête en ligne d’une part et des résultats des travaux d’une douzaine de groupes où ont réfléchi des jeunes de milieux très divers : apprentis, étudiants, jeunes salariés sous statuts très divers, demandeurs d’emplois, auto entrepreneurs, bénévoles en milieu associatif etc … Petit tour d’horizon d’un sujet pas facile à circonscrire.

 

 

S’engager oui, mais jusqu’où ?

 

jeunes pro 2

L’idée d’engagement au travail peut d’abord être vue comme la disposition individuelle d’un jeune à s’investir dans le travail ou au service d’une entreprise. Et dans ce cadre-là, force est de constater que les jeunes rencontrés, qu’ils soient qualifiés ou non, en emploi ou non, ne témoignent d’aucune forme de réticence de principe, de « désengagement générationnel ». Mais qu’entendent-ils réellement lorsqu’ils se disent prêts à s’engager ? Et qu’attendons-nous de leur part ? Parle-t-on d’un engagement « normal » dans le travail au regard de conditions d’emploi particulières, ou d’un investissement allant implicitement au-delà ?

Nombre de jeunes, plutôt qualifiés, demandent à s’affranchir totalement des horaires et lieux de travail, au profit d’une logique de projet par exemple ; est-ce le synonyme d’une forme d’engagement différente des générations précédentes, voire d’un engagement « sans limite » ? La question renvoie à un débat ancien sur la position optimale du curseur entre protection et liberté, notions souvent mises en opposition, de façon plus implicite qu’explicite, par les jeunes rencontrés. Pour autant un bref regard sur le passé suffit à montrer que la création des instruments de protection sociale a au contraire pleinement participé à l’essor des libertés. Le débat sur la dialectique liberté/protection n’est donc pas clos. Que les jeunes reprennent aujourd’hui cette question sur de nouvelles bases est à la fois normal (c’est précisément ce qui ne fonctionne plus actuellement) et très stimulant.

 

Notons également que le « sur investissement » semble presque assumé par certains jeunes ayant assimilé qu’ils doivent prouver, plus que d’autres, qu’ils ne sont pas là juste pour travailler mais pour adhérer à un projet productif. Ils rejoignent en cela un certain discours managérial mettant l’accent sur l’implication totale, la motivation, la prise d’initiative etc… Et en même temps ce discours peut déranger, par son apparente naïveté et la remise en cause des standards de travail qu’il sous-entend.

 

S’engager peut-être, mais pourquoi ?

 

La question des raisons de l’engagement est transversale. Peut-on ainsi identifier des moteurs spécifiques aux nouvelles générations s’agissant de leur investissement dans la réalisation de leur travail et / ou vis-à-vis de leurs collègues ? Ont-ils un rapport au travail différent de leurs prédécesseurs ? Quelles places occupent ainsi la rémunération, le type de contrat de travail, ou encore les modalités de travail dans ces motivations ?

 

S’agissant de l’engagement dans le travail, les réponses apportées ici sont incomplètes même si on dénote ici et là des revendications de reconnaissance financière (et symbolique) individuelle par certains groupes de jeunes, sur la base de leurs compétences et performances, quitte à remettre en question un ordre salarial plus favorable à une logique d’ancienneté.

 


Un engagement frustré ?

 

De nombreuses interrogations se sont exprimées sur le fait que les entreprises offrent, aujourd’hui, les conditions permettant l’expression de cette capacité d’engagement des jeunes.

Une tension apparaît entre une demande d’autonomie/de responsabilité et l’insuffisance de confiance, de communication, de reconnaissance ou de latitude laissée par les salariés plus âgés. D’autres expriment un sentiment « d’exploitation », se jugeant insuffisamment intégrés, formés ou encadrés, ce qui peut susciter un désengagement. Sont également perçus comme freins à l’engagement les moyens techniques inadaptés (équipement informatique par exemple), l’organisation du travail ou encore les systèmes hiérarchiques rigides.

Enfin la question de l’engagement pose la question de la compatibilité entre le projet de l’entreprise et les valeurs ou engagements sociaux nouveaux que portent les jeunes. Certains revendiquent un engagement professionnel qui ait un sens social ou, à minima, qui ne soit pas dissonant avec leurs aspirations personnelles. L’entreprise peut alors être tenue de les concilier : soit par les valeurs qu’elle porte elle-même (responsabilité sociale), pour peu qu’elle ne se contredise pas dans ses agissements ; soit par la valorisation et la reconnaissance des projets que portent certains jeunes.

 

 

S’engager avec ou pour les autres ?

 

La notion d’engagement renvoie également au lien des jeunes avec le collectif qu’est l’entreprise, ou à leur volonté d’y faire entendre leur voix.

L’aspiration à faire partie d’un collectif est présente chez les jeunes, la logique d’équipe demeurant forte et l’envie de partager des intérêts au-delà du travail existant. Néanmoins, elle pourrait se construire sur une base plus fragile, avec une solidarité plus temporaire et limitée à l’égard de l’ensemble des salariés de l’entreprise. N’est-ce pas là la contrepartie d’une relation contractuelle plus instable ? Un plus faible engagement des entreprises à l’égard des salariés les plus jeunes n’induit-il pas un moindre sentiment de fidélité, d’appartenance et de confiance chez ces derniers ?

Chez d’autres jeunes, il existe une attente réelle d’expression individuelle et collective dans l’entreprise et d’espace de relations interpersonnelles dans lesquels ils pourraient s’impliquer sans forcément s’engager de façon durable.

 

 

S’engager socialement : comment et pour quoi faire ?

 

Quant à l’engagement social ou sociétal, il est vu par plus de ¾ des personnes comme enrichissant. Les déclencheurs ici sont surtout l’envie d’être avec les autres, quelque chose qu’ils voient comme lié à leur propre nature, une prise de conscience personnelle. Elles et ils y trouvent une satisfaction personnelle, une utilité pour la société, des opportunités de rencontres et d’acquisition de nouvelles compétences. Ils aimeraient d’ailleurs avoir plus de temps pour ce faire quitte à bénéficier d’un temps citoyen sur le temps de travail : le modèle Google, où les salariés peuvent passer 10% à 20 % du temps pour faire des choses qui ne sont pas de nature directement professionnelle, en attire plus d’un.

graphique engagement des jeunes

Au travers de l’enquête, il apparaît qu’associations et ONG sont considérées comme les plus aptes à défendre de grandes causes (devant les syndicats et les partis politiques) et plus de la moitié des répondants s’y engagerait (cette proportion avoisine les 70% pour ceux dont les parents sont déjà dans des associations ou des syndicats.)

Et, lorsqu’ils se mobilisent, c’est d’abord à travers le bénévolat associatif, le partage sur les réseaux sociaux, ou encore les manifestations et pétitions. Mais près de 30% d’entre eux ne se retrouvent pas dans les formes classiques de l’engagement social (associations, ONG, syndicats ou partis politiques).

Cet engagement doit être concret et concerne d’abord leurs loisirs (sportifs et culturels). Néanmoins, l’appétence des moins de 30 ans pour les grands mouvements sociaux ou sociétaux est forte. Ainsi :

– 58% des répondants pourraient participer à un mouvement de révolte de grande ampleur de type « Mai 68 » ou encore « Nd Des Landes »
– 48% à des mouvements du type « Manif pour tous ».

Et certains se verraient bien et dans l’un et dans l’autre de ces mouvements, ce qui en dit long sur la transformation des références idéologiques, politiques ou autres.

 

 

Et le syndicalisme ?

 

Si les jeunes rencontrés démontrent une grande maturité dans la description qu’ils font de l’entreprise et de leurs attentes en matière d’amélioration des conditions de travail, il apparaît que les formes traditionnelles de représentation collective, telles que le syndicalisme, font pour le moins l’objet d’une forte distanciation voire d’une ignorance totale de leur part. Certains jeunes (ceux n’ayant jamais travaillé surtout) n’ont d’ailleurs que peu conscience de ce qu’est le syndicalisme et de ce qu’il recouvre. Mais au-delà de cette méconnaissance globale, les préjugés des jeunes à l’égard des syndicats sont forts. S’ils leur reconnaissent un rôle de défense des salariés, ils ne se retrouvent pas dans une contestation systématique et peu constructive et les jugent dépassés. Ils regrettent par ailleurs l’absence d’interactions/de dialogue entre les jeunes et les syndicats, sans compter la difficulté (voire le risque) pour un salarié pas encore en CDI de « se frotter » au monde syndical. Voilà pourquoi, en cas de conflit, certains des jeunes interrogés auraient plutôt tendance à s’organiser collectivement ou à s’adresser directement à la direction plutôt que de solliciter l’intermédiaire syndical. A cela s’ajoutent les risques individuels qui, attachés à l’image négative du syndicalisme, ont tout l’air de l’emporter sur ses bénéfices collectifs potentiels. Les jeunes rencontrés semblent pourtant vouloir s’impliquer davantage dans les processus de consultation. Mais ils souhaitent le faire au travers de processus nouveaux.

 

Afin de faire évoluer la situation, les jeunes proposent plusieurs pistes :

• envisager d’autres formes d’expression : favoriser les relations de personne à personne, s’échapper des rôles prédéfinis et ainsi libérer les relations de travail

• l’institution de forums d’expression libre et collective, physiques ou numériques, ouverts à tous les jeunes de l’entreprise, quels que soient leurs statuts

• faire connaître et rendre accessible la fonction syndicale : en accordant un temps aux délégués du personnel pour qu’ils parlent de leur rôle aux nouveaux arrivants ; en permettant aux DP de débattre avec les salariés autour de thématiques propres à l’entreprise ; en réévaluant les priorités des syndicats (de l’emploi et du pouvoir d’achat aux conditions de travail ?)

• faire rentrer les jeunes dans les syndicats : en mettant en place des quotas de jeunes DP dans les grandes entreprises ; en limitant la durée des mandats syndicaux de façon à permettre à tous les salariés de jouer un rôle dans le syndicalisme.

 

L’engagement professionnel des jeunesrecouvre on le voir des dimensions très diverses pour ne pas dire très hétérogènes. Les travaux d’ASTREES ont le mérite de montrer que les stéréotypes sur le prétendu individualisme des moins de 30 ans en comparaison de leurs aînés ne sont plus de mise et que des dynamiques d’engagement collectif sont présentes ou prêtes à s’enclencher. S’agissant du dialogue social, les moins de 30 ans méconnaissent ses acteurs comme ses processus actuels, pour beaucoup ils sont incompréhensibles, inefficaces voire dénués d’intérêt. Cela tient en partie à leur faible inclusion dans ces institutions, du point de vue des objets de dialogue comme de ceux qui y participent. A l’heure d’une x-ième modernisation du dialogue social, quelles leçons entreprises et syndicats doivent-ils tirer de ces constats ? Comment faire pour que l’entreprise de demain ait du sens pour ceux qui y participeront ? Un syndicalisme, même rénové, pourra-t-il répondre à leurs attentes ?

 

 

Référence : « Dessine-moi le travail – Quand les jeunes disent ce qu’ils ont sur le cœur », Note ASTREES n° 11, mars 2015.

 

Crédit image : http://bit.ly/1G7a77J

 

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