par Cécile Jolly
Dans les pays de l’Union européenne, on observe une nette augmentation de la part des emplois les plus qualifiés mais une croissance faible de celle des moins qualifiés. La baisse des effectifs situés au milieu de l’échelle des qualifications reste limitée avant 2008, mais s’est accentuée depuis la crise. Tels sont quelques-uns des constats issus d’un rapport signé par Cécile Jolly de France Stratégie.
Aux États-Unis comme en Europe, les crises économiques, la montée du chômage et la précarité semblent avoir remis en cause le processus d’homogénéisation sociale qui avait caractérisé les Trente Glorieuses.
Dans le champ du travail, la concurrence mondiale et la rapidité du changement technologique entraînent la mise en concurrence de la main-d’œuvre et accélère l’obsolescence des compétences. Ces évolutions peuvent conduire à une polarisation de l’emploi aux deux extrémités de l’échelle des qualifications : les emplois les plus qualifiés augmentent ; les emplois les moins qualifiés sont en hausse ou stagnent ; les postes moyennement qualifiés déclinent.
Ce phénomène a d’abord été identifié aux États-Unis dans les années 1980, puis en Europe dix ans plus tard. Pourtant, l’ampleur, la nature et la pérennité du processus ne font pas consensus. Leur évaluation dépend en effet de la méthode retenue pour mesurer la structure des qualifications.
En retenant comme mesure le niveau de rémunération des métiers ou la catégorie socioprofessionnelle, la polarisation est avérée sur une longue période aux États-Unis mais apparaît moins évidente en Europe. Dans les pays de l’Union européenne, l’élévation de la part des plus qualifiés est très nette mais celle des moins qualifiés croît faiblement, voire se réduit dans certains pays, à l’instar de la France. Limitée avant 2008 dans la plupart des pays européens, la baisse du nombre d’emplois moyennement qualifiés s’est néanmoins considérablement accentuée depuis la crise, du fait des destructions d’emplois dans l’industrie et la construction.
Plusieurs facteurs explicatifs rendent compte de ce phénomène et des différences d’évolution de part et d’autre de l’Atlantique.
• Le changement technologique entraîne une hausse des effectifs les plus qualifiés mais détruit les tâches routinières, qu’elles soient manuelles ou cognitives.
• L’automatisation des tâches et la standardisation des processus qui en résulte renforcent le potentiel délocalisable des métiers peu ou moyennement qualifiés.
• Une plus grande dérégulation du marché du travail (pays anglo-saxons, réformes Hartz en Allemagne) et/ou un salaire minimum en décroissance (États-Unis) comme les politiques d’allègement des charges sociales sur les bas salaires contribuent à la polarisation, en augmentant notamment les effectifs situés au bas de l’échelle des qualifications. En revanche, en France et en Allemagne, le poids des partenaires sociaux a permis de maintenir les salaires au milieu de la distribution.
• Certains changements sociodémographiques expliquent également la polarisation. L’augmentation continue du niveau d’éducation des populations conduit notamment à une surqualification des individus en emploi, une tendance accentuée par le niveau du chômage qui inclinerait les recruteurs à embaucher des personnes plus diplômées que ne le requièrent les postes. Simultanément, l’augmentation des emplois dans les services à la personne (mal rémunérés parce qu’occupés majoritairement par des femmes et des migrants) explique la montée des effectifs des moins qualifiés.
Deux scénarios se profilent
Certains anticipent avec le « second machine age » la disparition accélérée de tâches routinières, qui toucherait l’ensemble des qualifications. D’autres voient dans la révolution des services numériques une occasion pour les qualifications moyennes d’associer à leurs compétences une plus grande technicité et une relation client que les machines ne pourront pas reproduire.
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