A Metis, nous aimons bien la phrase de Camus : « Mal nommer les choses rajoute au malheur du monde ». Claude-Emmanuel Triomphe a bien dû déjà la citer dans l’un de ses très nombreux éditos. Alors en un moment où beaucoup de choses sont dites, écrites, proférées (et il le faut), cette phrase a une grande actualité.
Par exemple on nous dit « c’est la guerre », mais quelle guerre ? Des sociologues nous disent « ceux qui étaient visés par les attentats représentent les métiers d’avenir, le travail d’aujourd’hui, et surtout de demain ». C’est vrai : beaucoup étaient graphistes, plasticiens, ingénieurs du son, programmeur musical, régisseuse de lumière, informaticien, concepteur-rédacteur dans la publicité…. Sous-entendu : « ceux qui ont tiré venaient des « quartiers », des banlieues, partis de l’école trop vite, sans travail, au chômage ou au RSA, ou vivant de trafics divers ». C’est aller bien vite en besogne : partout il y a aussi des serveurs dans les bars et les restaurants, des vigiles dans les salles de concert (souvent des grands noirs baraqués, et souvent musulmans de religion, ceux que raconte Gauz dans son beau livre Payé debout), des piétons dont certains ont été tués. Au Stade de France surtout, il y avait toutes les catégories sociales, des gens venus de tous horizons.
Bien sûr, la société française a laissé se creuser des fossés considérables, certains jouent encore à exacerber les tensions, les frustrations que les inégalités à l’école, les discriminations à l’embauche, les ghettos urbains fabriquent et qui sont une réalité sociale bien présente et très lourde. Et là on n’en sort pas avec des mots…En France ou ailleurs. Bertrand Badie fait remarquer dans un récent article : « De nos jours la conflictualité explose de plus en plus comme le résultat de la faillite des Etats, de l’effondrement des contrats sociaux, de la précarité du lien social, de la faiblesse du développement humain. Il n’est qu’à regarder les cartes et les comparer : celle de la conflictualité endémique se superpose avec celle des scores les plus bas de développement humain. » (Le Monde, 21 novembre 2015). On peut superposer des faits sans en déduire des liens immédiats de causes à effets. On sait que les réalités de l’exclusion sociale et de la relégation de certaines banlieues, d’une décolonisation mal faite, d’une culture universaliste avec une faible tolérance à l’autre, surtout en matière de religion, d’une Europe molle dont les Etats ont refusé qu’elle soit davantage politique, forment comme un fonds de carte qui permet d’ expliquer des choses.
Mais en aucun cas de comprendre ce qui vient de se passer, et encore moins ceux qui l’ont fait. Ou alors en utilisant le mot « comprendre », on veut dire analyser les causalités multiples, saisir les points de rupture, savoir prendre en compte les nombreux travaux issus de toutes les disciplines des sciences sociales. Une exigence que vient confirmer cette phrase entendue à la radio, parmi tant d’autres : « le problème c’est que les terroristes nous connaissent beaucoup mieux que nous ne les connaissons ». Faisons-nous l’effort de connaître en profondeur les autres sociétés, leur fonctionnement et leur histoire, les religions et les cultures de par le monde. Que d’intelligence, de moyens et tout simplement de travail à investir pour analyser vraiment toutes ces données, y compris celles des différents services du « Renseignement ». En anglais, on dit « Intelligence service »…
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