par Agnès Berjon, Danielle Kaisergruber
Au moment où l’orientation à distance commence à prendre ses marques, Agnès Berjon – directrice de la MIFE de Savoie et secrétaire générale d’InterMife – nous fait part de la place bien spécifique de ces Maisons de l’Information et l’Emploi dans le paysage français de l’accompagnement, au travers du CEP et du rôle central des conseillers, vers l’empowerment pour tous.
Pouvez-vous nous dire quelle est la place spécifique de ces « maisons » parmi les nombreux acteurs de l’orientation et de l’accompagnement des adultes ?
Les MIFE ont été créées en 1982, dans la mouvance des lois de décentralisation, à l’initiative conjointe de l’État et des collectivités territoriales. D’abord dans le cadre d’une expérimentation nationale proposée par le Ministère de la formation professionnelle de l’époque, pour appréhender, au travers de la question de l’information sur la formation des adultes, celle de l’accompagnement dans leurs mobilités professionnelles. En 1980, un rapport au Conseil économique et social avait déjà préconisé un droit à l’orientation des adultes, finalité fortement portée par les MIFE. C’est par deux circulaires que notre offre de service a été définie, prenant en compte les résultats de l’expérimentation : certes les adultes ont besoin d’une information personnalisée, mais ils ont aussi besoin d’un accompagnement pour évoluer professionnellement, que ce soit pour accéder à l’emploi, changer d’emploi, évoluer dans l’emploi ou créer leur propre emploi.
Les MIFE occupent une place spécifique dans le champ de l’orientation tout au long de la vie – non pas tant par leur structuration institutionnelle que par les stratégies éducatives qu’elles ont mises en œuvre en direction des adultes – sous le nom de Guidance Professionnelle Personnalisée (GPP), fondée sur une approche globale de la personne, sur la valorisation de son expérience et en lien avec son environnement. Notre offre de service s’adresse à tout public adulte, actifs en emploi ou en recherche d’emploi, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. Elle comprend également l’ensemble des phases de l’orientation, en réponse aux besoins des personnes : information, conseil et accompagnement dans la mise en œuvre du projet professionnel.
Le paysage actuel de l’orientation est marqué par la création du « Conseil en Evolution Professionnelle » (CEP) comme un droit pour tout salarié, depuis la Loi sur la formation du 5 mars 2014. Quelle place faites-vous à ce nouveau droit et est-ce que cela change beaucoup de choses pour votre réseau et vos façons de faire?
Tout d’abord, nous avons vu une correspondance manifeste entre l’offre de service GPP et le cahier des charges du CEP décliné dans les trois phases du processus d’orientation – évoquées plus haut – en réponse aux besoins des personnes selon leur degré d’autonomie, leur situation personnelle et professionnelle. La pédagogie GPP fondée sur des modèles théoriques reconnus – relation d’aide de Carl Rogers, maïeutique du sujet d’Henri Desroche et pédagogie de la médiation de Reuven Feuerstein – définit une posture du conseiller, non plus en tant qu’expert prescripteur, « distributeur de dispositifs », mais comme facilitateur, médiateur, catalyseur, aidant la personne à trouver ou retrouver sa dynamique interne en vue d’un changement professionnel.
Dans leur conception de l’accompagnement, les MIFE font une place particulière à l’autonomisation des personnes accompagnées : comment se passe concrètement le suivi d’une personne ? Quelle est la part de l’information, du conseil ? On parle beaucoup aujourd’hui de l’ « empowerment » des personnes, est-ce que cela correspond au concept que vous utilisez de « guidance professionnelle personnalisée » ?
L’accueil dans une MIFE est déjà un temps d’analyse de la demande et de première information – la personne a-t-elle déjà une idée, est-elle autonome, a-t-elle besoin d’un entretien plus approfondi, sa demande est-elle claire, explicite ? – permettant de vérifier ainsi si le ou la chargé-e d’information peut répondre à la demande et sinon passer la main au conseil par une prise de rendez vous. L’information est primordiale dans ce temps d’accueil : il s’agit d’engager une relation personnalisée par l’effort de compréhension, de montrer ce qui existe, d’ouvrir les possibles pour susciter la motivation, l’envie, le désir. Nous considérons dans notre réseau que tout citoyen doit pouvoir avoir un large accès à l’information, qui doit être la plus exhaustive possible car elle a une dimension éducative de mise en mouvement. L’information traverse le processus d’orientation, d’abord en amont et pendant les phases du conseil et de l’accompagnement. C’est pour cela que les MIFE ont mis en œuvre des outils d’information directement accessibles au grand public, notamment aujourd’hui le site de Guidance s’est construit sur les moteurs de recherche connus.
En fonction des besoins discernés, des entretiens sont proposés avec un-e conseiller-re. Cette phase d’orientation, c’est-à-dire d’élaboration de projet, peut varier entre un et trois entretiens, toujours selon les besoins. Si les entretiens individuels sont privilégiés, les ateliers collectifs, toujours proposés selon les besoins, viennent enrichir le processus par la relation avec des pairs.
Ensuite vient la phase d’accompagnement dans la mise en oeuvre du projet (entrée en formation, concours à passer, recherche d’emploi, création d’activité, démarches de connaissance de l’environnement économique).
Ces phases sont définies par le conseiller et la personne et peuvent être proposées dans un déroulement adapté en fonction de la construction de son projet. Statistiquement, c’est-à-dire dans le rapport du nombre de personnes accueillies et du temps passé annuellement par les conseillers dans cette activité d’entretiens, on évalue la durée moyenne de la GPP à 5 heures par personne, variable entre 2 et 30 heures. Cela peut paraître court mais traduit la diversité des demandes et le degré d’autonomie de la population active.
Les outils d’orientation proposés sont davantage des outils qui aident à penser son expérience que des outils d’évaluation des capacités. Car, l’objectif de cette relation éducative d’orientation est de rendre la personne actrice de son parcours, c’est-à-dire qu’elle puisse trouver un sens à son parcours passé et en devenir ainsi qu’un appui dans une conduite de changement. Notre pédagogie développe ce « pouvoir agir », ou « empowerment », qui n’a curieusement pas de traduction par un substantif dans notre langue, et qui, selon nous, est lié à cette dimension existentielle du sens, à la fois compréhension de son parcours et direction, dynamique d’avenir. Les méthodes d’histoire de vie, notamment celle d’Henri Desroche axée sur le projet, favorisent cette émergence du sens, donc cette dynamique.
Finalement comment peut-on définir l’accompagnement en matière de parcours professionnel ? A quelles conditions peut-il être créatif et enrichissant et ne pas se résumer à un simple « aiguillage des personnes » ? Comment s’y prend-on pour créer entre la personne et le conseiller une situation de coopération ?
L’accompagnement de parcours professionnel relève d’un processus de co-construction, le conseiller apportant son expertise en matière d’ingénierie formation/emploi et de relations humaines, la personne apportant son expertise en matière d’expérience de vie – elle seule est experte de sa vie. La créativité est produite par cette relation éducative d’orientation, permettant à la personne de penser et parler son expérience et d’élaborer un projet professionnel ancré dans son existence, qui pourra se concrétiser dans une dialectique entre son désir mobilisé et son environnement. Le terme « aiguillage » me paraît très réducteur, relevant d’une pratique diagnostique qui est devenu insuffisante aujourd’hui. En effet, il est devenu impossible dans une société et une économie en mutation de se limiter à une seule posture d’expert, celle du conseiller.
Comment susciter la coopération ? C’est là que les pédagogies de la médiation théorisées et mises en oeuvre par le psychologue Reuven Feuerstein représentent un étayage essentiel pour le conseiller. En effet, la coopération est un des douze critères de médiation, composantes et conditions de la posture de médiateur. C’est de la responsabilité du conseiller, en tant qu’animateur de la relation, d’avoir lui-même le désir et l’intention d’aider la personne, de favoriser le dépassement de la situation présente, de susciter la réciprocité, la coopération, le sentiment de compétence, la différenciation psychologique, de réguler l’impulsivité, de dégager le but et la signification des propositions et des préconisations.
Comment reconnaitre et faire reconnaitre les compétences, les habiletés, les « capabilités » (Amartya Sen), dont toute personne est porteuse ?
Tout d’abord, cela part d’une conviction que doit avoir tout professionnel du conseil, que toute personne est porteuse de compétences, d’habiletés, de potentialités ou capabilités, c’est-à-dire des capacités enfouies non encore mises en œuvre. Henri Desroche a défini comme première stratégie de tout acte éducatif – nous postulons que le processus d’orientation est un acte éducatif – la maïeutique du sujet qui consiste, à la mode socratique, à exciper ces capacités, potentialités, ces trésors, ce « daïmon » ou génie que toute personne possède, trop souvent enfouis par les aléas et les échecs de la vie.
Ces finalités étant posées, c’est par cette posture de facilitateur – favorisant l’écoute centrée sur la personne, de médiateur élargissant les représentations personnelles et professionnelles, de catalyseur provoquant un déplacement intérieur par la qualité de sa relation – que le conseiller aidera la personne à reprendre confiance, à retrouver une estime de soi positive, à s’engager à élaborer un projet et à effectuer des démarches ayant du sens pour elle car ancrées dans son existence. C’est là la dimension existentielle du projet théorisé par Jean Pierre Boutinet, qui n’est que l’aboutissement de ce travail de maïeutique à partir de la lecture de l’existence et de l’expérience de la personne.
L’orientation en ligne se développe. Vous avez créé le portail jemoriente.info. Est-ce suffisant ou bien faut-il articuler cet usage d’internet avec les contacts téléphoniques et physiques ?
Autant les pratiques d’information se sont bien développées avec les outils numériques, autant les pratiques d’accompagnement à distance en sont à leur balbutiement. Notre réseau a expérimenté un outil de guidance à distance, avec le soutien d’un projet européen, dans le but à la fois de toucher des personnes éloignées des centres et d’optimiser le temps de travail de co-construction conseiller /personne. Force est de constater, après quatre ans d’expérimentation, que ni les professionnels ni les personnes ne sont prêts à « lâcher » l’entretien présentiel. Pour l’instant, les personnes éduquées à toutes les fonctionnalités de la culture numérique ne sont pas encore majoritaires, d’autant plus que la fracture numérique guette notre société. Cela dit, les outils numériques, qui doivent rester des outils au service de la relation d’orientation, devraient avoir un bel avenir devant eux.
Pour aller plus loin
– MURCIER J.P., L’orientation et la reconversion des adultes, Rapport au Conseil Economique et Social, Paris, Journaux Officiels, 1980, 158 p.
– MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES, Délégation à la Formation Professionnelle, Pour une méthodologie de l’information sur la formation – La pratique des MIF, Paris, Centre INFFO, 1987, 104 p.
– Henri DESROCHE, Entreprendre d’apprendre, d’une autobiographie raisonnée aux projets d’une recherche-action, Apprentissage 3, Paris, Les éditions ouvrières, 1991, p 208
– Reuven FEUERSTEIN, « Le PEI, Programme d’enrichissement instrumental », in Pédagogie de la médiation, Autour du P.E.I., Programme d’Enrichissement Instrumental du Professeur Reuven Feuerstein, Préface de Guy AVANZINI, Lyon, Chronique Sociale, 1990, pp.117-166.
– Site : www.jemoriente.info
– Site : www.guidance-formations.com
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