Parce que moi ça va mieux, je reprends l’écriture. En ayant conscience que mon pays, la France, a mal. Ce n’est pas de la déception footballistique que je veux évoquer ici. Même si la finale de l’Euro aurait pu nous faire du bien. Même passagèrement. Ce qu’elle fait d’ailleurs au Portugal qui se remet à peine d’une cure d’austérité dont nous n’avons pas idée ici. Bref, privée de victoire, la France va devoir revenir à ses fractures profondes. Que ce soit sur le plan politique, économique ou idéologique, que ce soit au plan des territoires, de l’éducation, de l’égalité des chances, de l’accès à l’emploi, de la possibilité de construire pour soi et ses proches un avenir meilleur, de la capacité à vivre ensemble au-delà de nos différences, ce ne sont pas tant les inégalités qui posent problème que les discriminations, les blocages, les impasses et les conflits patents ou latents qui en découlent. Et qui dit fractures dit blessures.
Les réformes menées tous azimuts sont-elles à même de remédier à ces maux individuels et collectifs ? On aimerait le penser. On aimerait pouvoir se dire que derrière le bruit voire la fureur des protestations, des manifestations, l’intérêt général, le nôtre et celui des autres, y a gagné. Mais rien n’est moins sûr tant le climat délétère qui sévit empêche d’apporter une réponse sereine et certaine. Extraordinaires référendums où sur le terrain de Notre Dame des Landes l’on se dit résolu à ne pas accepter les résultats pourtant assez nets tandis qu’outre-Manche les leaders du Brexit cherchent leur salut dans la fuite ! Et ce sans parler de cette fameuse loi Travail dont l’introduction comme l’adoption laissent planer des doutes plus que sérieux sur sa mise en œuvre effective. Il est frappant de voir combien nos démocraties sont devenues fragiles. Les raisons en sont évidemment multiples et beaucoup ne datent pas d’hier.
La capacité à développer une vision solidement construite et argumentée dans des sociétés de marchés où l’instant prime sur le long terme est devenue rarissime. Celle à expliquer des projets complexes dans un monde qui l’est tout autant, mais que tant simplifient de manière outrageuse, suit la même pente. Quant à la capacité à assurer l’équilibre entre transparence et incertitudes, elle se cherche. Tout cela, et bien plus, nous frustre. Ajoutons-y une médiatisation dérégulée ou le grand n’importe quoi pèse tout autant que l’évidence scientifique ainsi que des mécanismes démocratiques qui voient d’abstenir, voire être exclus, des groupes sociaux entiers conduisant à ce fameux entre soi des élites et au ressentiment des « invisibles ».
La prise de cap comme la prise de décision en sont profondément et douloureusement affectées. Et l’on peut douter que la technique référendaire, réclamée à cors et à cris sur des sujets éminemment complexes en matière politique comme en matière sociale ou d’aménagement du territoire, permette de retrouver cette légitimité des choix qui fait aujourd’hui si cruellement défaut.
Pourtant l’on aurait tort, suivant une pente fréquente de l’esprit français, de noircir par trop le tableau. Car l’on a tendance, ici comme dans beaucoup d’autres domaines, à oublier que ces mécanismes, par ailleurs critiquables et améliorables, constituent un progrès et un acquis fragiles qu’il faut à tout prix protéger. Ceux qui en sont dépourvus, et ils sont nombreux de par le monde, sont les premiers à nous le rappeler. Ensuite parce que dans cette critique il y a des tas d’initiatives et de propositions qui surgissent de la société civile : l’économie du partage (la vraie !), les actions de solidarité participative, les forums de type Nuit debout (quelles qu’en soient les limites), les conseils citoyens et autres innovations – numériques ou non – de la démocratie locale sont trop nombreux pour être traités à la légère. L’on pourrait mentionner aussi l’univers des arts et de la culture, florissant comme jamais en France et à l’étranger, en dépit des coupes budgétaires qui en cette période d’austérité les affectent plus que d’autres.
Corrélons tout ceci, en large partie tout au moins, à la jeunesse de ces porteurs d’air frais. Voilà une génération, pourtant largement malmenée à bien des égards, qui n’est pas la génération moutonnière ou consommatrice que d’aucuns annonçaient. Elle est présente, nous bouscule, nous séduit, même si parfois elle nous inquiète, mais elle est tout sauf amorphe. Cet élan vital pour nos sociétés, de la Grande-Bretagne à la Pologne en passant par l’Espagne, l’Hexagone et bien d’autres, n’est pas mort. Il y a là de sérieuses raisons d’espérer.
Bref vous voyez ça ne va pas si mal.
Et vous ça va comment ?
PS : Je profite de cet édito pour remercier très chaleureusement Danielle Kaisergruber et tous les membres du comité de rédaction qui ont su poursuivre l’aventure Metis pendant ces mois et ces nombreux jours couchés. Et qui vont continuer !
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