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Promue, en dépit d’une méthode assez désastreuse, par la récente et décriée loi Travail, la négociation collective est pourtant assez malade. Ses techniques, ses méthodes, ses acteurs, ses résultats sont à la peine et, à l’exception de la Belgique, de l’Autriche et des pays nordiques, la situation a tendance à se dégrader. Malgré de beaux restes, l’Allemagne elle-même n’est pas épargnée. L’Europe centrale et les pays méditerranéens traversent eux des périodes très critiques.

Une conférence organisée il y a quelques semaines à Lyon (notamment par Astrees et l’Université Lyon II) a contribué à objectiver ce diagnostic. Sauf exception, le nombre de travailleurs couverts par ce type d’accords est en baisse et dans certains pays comme le Portugal, la Grèce ou la Pologne, celle-ci est drastique. A l’inverse de la France, peu de pays usent des techniques d’extension considérant souvent que le faible poids des organisations patronales ou syndicales ne les autorise pas à rendre générales des normes négociées par des groupes trop minoritaires.

La négociation salariale, noyau s’il en est des rapports collectifs de travail perd du terrain quand elle n’est pas devenue résiduelle : la fameuse décentralisation de la négociation y est pour beaucoup, en particulier quand elle a été imposée par la Troïka. Et l’on pourrait y ajouter la schizophrénie pour ne pas dire l’hypocrisie du niveau communautaire : si l’on continue à célébrer les vertus du dialogue social, les recommandations de l’UE en faveur d’une modération salariale et d’une flexibilité sans sécurité sont, elles, émises de façon beaucoup plus contraignante. En conséquence, si la négociation salariale pèse encore sur les rémunérations dans certaines entreprises, elle devient de moins en moins prégnante au niveau sectoriel comme au niveau interprofessionnel. Enfin la déconnection entre salaires négociés et salaires réels, entre salaires et autres types de revenu, ou encore l’individualisation croissante des rémunérations prennent un poids non négligeable.

La diversification des statuts de l’activité alimente ces phénomènes : l’exclusion dans certains pays des contrats atypiques, la montée des travailleurs indépendants et autres free-lance, en particulier dans les activités à fort contenu numérique, minent la place de la négociation. Enfin la mobilisation des salariés faiblit : le taux de syndicalisation est en baisse, la représentation de certains intérêts – femmes, jeunes, migrants – reste très en deçà de ce qui pourrait être attendu. Et l’enthousiasme à négocier des clauses défensives reste très limité. Le cas de la France, avec des dispositions récentes inutilisées, est ici emblématique.

Enfin, la diversification des thèmes de la négociation reste fragile. Si c’est le cas des grandes entreprises, cela percole difficilement ailleurs qu’il s’agisse des branches ou, bien entendu, des entreprises de taille plus petite.

Beaucoup de ces phénomènes ne sont pas nouveaux. Et les attribuer à la crise ou à la responsabilité des politiques néolibérales européennes est très insuffisant. Le retard pris par les acteurs, en particulier syndicaux, à prendre la mesure des mutations du travail, la crispation sur des cadres institutionnels existants mais souvent dépassés, le défaut de stratégie, de combativité face à une grammaire néolibérale teintée de nouvelles technologies et de concepts alternatifs. De même l’appel à moins de législation et plus de négociations doit être soumis à un examen critique : ce que l’on constate aujourd’hui en Europe c’est plus de législation – nationale et pas européenne – et moins de négociation. Bref, à maints endroits, la situation est devenue plus que critique et la négociation collective, en dépit de déclarations répétitives sur le rôle du dialogue social, moribonde.

En France nous n’en sommes pas tout à fait là. Depuis plus de 30 ans, la loi s’est efforcée, non sans mal et sans résistances multiples, de faire plus de place à l’accord collectif. Le pari posé par le rapport Combrexelle et par la loi Travail vont aussi en ce sens. Mais les acteurs sont-ils vraiment prêts à s’en emparer et à se restructurer pour y faire face ? Les vraisemblables futures alternances et le comportement des acteurs patronaux permettent d’en douter. La division profonde du syndicalisme – sur fond de désyndicalisation continue – aussi.

Il ne faut pourtant pas désespérer et certaines bonnes pratiques belges, allemandes, britanniques ou nordiques relatives à la syndicalisation des jeunes ou des travailleurs du numérique montrent que l’on peut agir et que cela marche. Il est donc temps de quitter les postures caricaturales qui se sont déployées lors de la loi Travail et de se mettre à l’ouvrage. Mais le temps presse : le rouleau compresseur de la nouvelle économie n’a pas encore vu surgir de contrepoids de contre-pouvoir sérieux en matière sociale.

 

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