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Le 22 juin à 8h30 nous nous rendons au Numa. Ça flairait bon le café et les esprits en ébullition. Il faut dire que le Numa c’était une association, aujourd’hui une entreprise, une couveuse qui aide notamment les startups à se développer, mais c’est aussi un explorateur. Un explorateur du travail même. Dans le cadre de son cycle d’événements répondant au thème ambitieux Reinvent Work le Numa s’est associé au Lab Astrees pour se pencher sur le mythe (ou la réalité ?) de la réinvention des relations de travail par les Startups. Quels en sont les enjeux et les leviers ? Quelles pratiques émergent quand d’autres disparaissent ? Tout un programme.

 

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Le NUMA

La matinée a débuté par le retour d’expérience de Sijia Druo, ancienne DRH de Captain Train (depuis acquis par Trainline), et Bérénice May, DRH de Content Square. Deux startups alors en pleine croissance. Le rôle de la fonction RH – quand elle existe – n’est dans ces moments-là pas de tout repos. Entre une croissance très rapide et une poussée des nouvelles technologies, le temps est comme accéléré. Et du cocon avec des valeurs, une culture et une communication (souvent informelle !) très forte, on se retrouve en l’espace d’une microseconde dans le monde des grands. La famille s’est élargie. De dix elle est passée à cent. La communication se complique, le nombre d’interlocuteurs augmente, les moins grandes gueules auront du mal à (comme au bon vieux temps) rapporter leurs soucis ou frustrations directement au leader, autrefois unique. Il faut donc se réapproprier un modèle social et jongler entre sa culture de startup – reflet des générations XY en quête de sens dans le travail et exigeant communication et transparence -, une croissance exponentielle et des obligations légales souvent inadaptées (imposer une badgeuse alors que l’entreprise repose sur la confiance, des réunions formelles de CE, de DP sur les mêmes sujets avec les mêmes personnes…) – ménager la chèvre et le chou en fait.

 

Bérénice May le souligne, les grands groupes n’ont pas ce genre de problématiques. Les modèles sont déjà établis, les institutions existent, mais sont souvent figées. Les startups ont alors la difficulté, mais aussi la chance et le loisir de modeler les relations sociales à partir de leur culture, de leurs valeurs.

 

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Ainsi, nos deux DRH ont l’une et l’autre exposé certaines de leurs astuces (ou «tips» en langage de startupeurs). Déjà il faut à tout prix éviter l’effet « Top-Down » qui peut être très mal vécu quand on n’y a pas fait ses classes. Il est en outre très important que l’entreprise reste agile en instaurant des espaces d’innovations et donc le droit à l’erreur. Aussi, il faut trouver de nouveaux moyens de communication pour s’adapter aux contraintes liées à la forte croissance démographique de l’entreprise. Elle doit être multimodale. De nombreux outils digitaux existent, des réunions générales doivent avoir régulièrement lieu pour que chacun ait le même niveau d’information et de connaissance, on peut mettre en place des moments de concertation… Mais, selon Bérénice May et Sijia Druo, les Institutions Représentatives du Personnel (IRP) peuvent aussi être un excellent levier de communication. Crédibles par leur statut d’élus, les représentants du personnel sont une « courroie de transmission », un pont, entre les besoins de communication du personnel et ceux de l’entreprise, une façon de coordonner différemment le dialogue et les collectifs.

 

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Mais les échanges du groupe « Des enjeux et pratiques du dialogue et d’expression dans une startup en pleine croissance », auxquels nous avons assisté plus tard dans la matinée, étaient parfois moins enthousiastes sur ce sujet. Aujourd’hui le cadre légal imposé aux startups les amenant à se doter d’IRP est un peu vécu comme un prétexte et amène à re-questionner leur rôle, la façon dont ils peuvent apporter de la valeur au-delà de la collecte d’information qui peut désormais se faire grâce aux nouveaux outils digitaux. A la fois des intermédiaires supplémentaires alourdissant une communication auparavant directe, mais aussi des facilitateurs permettant de prendre de la hauteur et coordonner différemment les collectifs, les IRP se retrouvent dans un rôle un peu bâtard et parfois mal perçu dans les startups. Quand les représentants du personnel sont syndiqués, les choses peuvent se compliquer. Le cycle de prise de décisions n’est pas le même, les négociations et le rythme peuvent se voir considérablement alourdis, la question du sens est aussi soulevée.

 

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Mais qu’en pense le syndicaliste d’une entreprise digitale, le DG du Bon Coin, le président du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) ? Dans cette table ronde animée en fin de matinée par Denis Maillard, Pierre Bouvier-Muller, Alexandre Collinet et Olivier de Pembroke s’accordent sur l’inadaptation des syndicats à ces nouveaux univers entrepreneuriaux. Pierre Bouvier-Muller, salarié de FircoSoft, une société de logiciels, était représentant du personnel et s’est ensuite syndiqué non pas par conviction, mais par curiosité. Il a suivi les formations nécessaires et a été pour le moins déçu. « Les techniques d’apprentissage sont vraiment à l’ancienne (…) On nous apprend à lutter, à être en opposition », mais dans une entreprise du numérique, dans une startup, ça ne passe pas. Pierre, comme ses autres collègues syndicalistes (sauf un, qui l’était par conviction) envisage la relation de ces représentants avec l’entreprise comme un moyen d’échanger, d’écouter. Olivier de Pembroke enfonce le clou « certains syndicats restent figés, mais beaucoup de gens comprennent qu’il faut les changer pour être au service de la collectivité et non de leur propre cause ». Alexandre Collinet, DG du Bon Coin, avoue de son côté qu’il serait contrarié par l’entrée de syndicats dans son entreprise. « On n’a pas de syndicat car les gens n’ont jamais eu besoin d’y faire appel (…) Si cela arrivait, je me demanderai ce que j’ai loupé avec mes salariés ».

 

A la fin de cette matinée, il nous paraît tout à fait dérisoire de vouloir appliquer un modèle universel à ces entreprises. Le droit, les syndicats doivent s’adapter à cette ère des startups, du digital, aux générations XY qui y évoluent. Mais la communication, l’innovation et la protection doivent perdurer.

 

En tout et pour tout, le défi à relever – pour Valérie Communeau, l’anthropologue qui par son intervention a conclu notre événement – est que les clans, par leurs nouvelles relations sociales, deviennent tribus.

 

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Secrétaire de rédaction de Metis, journaliste et rédactrice web, je suis passée par le marketing et les relations internationales.