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danielle kaisergruber

Ou de l’importance du langage dans le travail.
Tous les jours, et dans la plupart des activités professionnelles, nous recevons et envoyons quantité de messages. Plus exactement nous lisons et écrivons. Circulent ainsi des messages écrits, avec ou sans faute d’orthographe, en style plus ou moins « télégraphique », comme on disait à l’époque du télégraphe.

 

Les organisations modernes du travail font de plus en plus appel au langage : communication hiérarchique, travail collaboratif (ou non !) entre collègues, travail en équipe, travail en réseaux à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. Les consignes de sécurité et les normes de qualité écrites dans la langue du pays, les besoins de traçabilité des produits et des services, requièrent des transmissions d’informations écrites. Un chauffeur routier (souvent rebaptisé employé du secteur de la logistique) transporte et les marchandises et les informations sur les marchandises. Les gens du BTP lisent des plans sur leurs smartphones. Les « écritures professionnelles » ont pris une place décisive dans les métiers de la santé, et infirmières et aides-soignantes doivent y consacrer un temps qu’elles jugent souvent excessif… Le devoir de « communiquer » pour tous les emplois de service à domicile, d’accompagnement des personnes âgées est au cœur de ces métiers en développement : que faire des heures attribuées une fois le ménage et les courses terminés ? Il s’agit bien « d’entretenir » la conversation, de bavarder avec les personnes dont on prend soin, et si possible pas seulement à propos de la météo, qui a le mérite d’être changeante dans nos pays tempérés…

Sans parler de la place prise par la communication numérique.

 

Face à ces nouvelles exigences du travail et de la vie quotidienne, 2,5 millions de Français (Enquête IVQ de 2011) sont en situation d’illettrisme, beaucoup d’entre eux sont en emploi, donc possiblement fragilisés, et à coup sûr anxieux que l’on découvre leur vulnérabilité. Face à cela, les enquêtes de l’OCDE et surtout PIAAC qui porte sur les adultes actifs, montrent que la proportion de Français maîtrisant mal les compétences de base est parmi les plus élevée de tous les pays membres. 3,4 millions de personnes sont dans une situation proche de l’illettrisme, parce qu’ils ne maîtrisent pas le français ou parce qu’ils ne maîtrisent pas l’écriture et la lecture.

 

Tous les salariés, ou indépendants, ne sont pas à égalité quant à leur usage du langage, leur aisance à parler, écrire, compter ou effectuer une commande en ligne. Le taux de chômage des personnes qui maîtrisent mal l’écrit est supérieur (et à tous les âges) à celui des personnes sans difficultés. Les actifs en difficulté avec l’écrit sont plus souvent des ouvriers que d’autres catégories professionnelles.

 

Alors oui, la mise en place par le gouvernement français d’un « Grand plan de développement des compétences » est bienvenue ! Alors oui saluons l’initiative des partenaires sociaux qui ont créé dans le cadre des instances paritaires de la formation le premier Certificat pour valider et développer les compétences-clés. Le succès de CléA ne se dément pas. Mais on n’apprend pas hors sol, il ne s’agit pas de retourner sur les bancs de l’École ! Les solutions, les pédagogies ne sont pas les mêmes pour des ouvriers de 50 ans et des jeunes décrocheurs accros à leur portable. Ce sont les approches liées aux situations professionnelles qui marchent le mieux pour réapprendre, ou se réassurer, en calcul, lecture/écriture et maîtrise du numérique. Une fois encore, il faut partir des situations de travail. Et les entreprises doivent s’y coller.

 

Mais s’agit-il seulement de la langue française ? Ou de plusieurs langues ? L’anglais est de plus en plus exigé pour de nombreux emplois ou pour espérer une progression professionnelle. Facteur de discrimination ? Oui sans doute. Et puis il y a ces nombreuses entreprises « pluri-culturelles » de fait dans lesquelles les mobilités transfrontalières ont fait que l’on y parle plusieurs langues. Officieusement du moins, par métiers, par sous-groupes, par communautés. On laisse faire, surtout si c’est efficace pour le boulot. (Voir l’édito du 28 mars 2017, « Molière et le travail »). Une responsable d’Eiffage parle de « discrimination par habitude »… Pour les langues de travail, comme pour la place des religions dans le travail (Voir le dernier livre de Denis Maillard Quand la religion s’invite dans l’entreprise, Fayard, 2017), les entreprises doivent ne pas fermer les yeux, trouver leur voie, construire et discuter des règles du jeu.

 

Des articles de Metis ouvrent le dossier « Travail et langage » : la place du langage dans le travail, les usages des langues, les compétences numériques, et les mots pour dire le travail. À suivre.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.