Imaginez vous en train de visiter le centre d’appel d’une multinationale de la finance, ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Vous entrez dans le monde de la flexicurité dans toutes ses dimensions. Vous allez voir de nombreux employés, rivés au téléphone et guidés par les mêmes systèmes logistiques. Performances, temps d’attente des clients entrants, nombre de conversations simultanées, sont affichés en permanence sur de grands écrans digitaux. Les rendements individuels sont mesurés et enregistrés à des fins d’évaluation et d’amélioration des politiques de qualité.
A priori, ces employés ont tous la même activité et semblent donc « égaux ». Ils partagent le même environnement de travail, les mêmes chefs, la même technologie d’information, leurs emplois ont les mêmes caractéristiques. C’est la flexibilité à laquelle ils sont soumis qui fait les différences. Certains bénéficient d’une sécurité professionnelle de qualité, les autres sont moins bien protégés et soumis à différentes formes de flexibilité. Ensemble, ils forment un système de flexicurité, fruit de nouvelles réglementations, de stratégies managériales et quelquefois de choix individuels.
Entre 50 et 60% des employés de notre centre d’appel bénéficient d’un contrat permanent. Ils ont une semaine dite « flexible » toutes les 13 semaines environ, une semaine dont les horaires de travail varient dans le cadre des 168 heures d’amplitude du centre. Ils peuvent choisir leurs horaires de travail pour les 12 semaines suivantes. Les autres salariés viennent d’entreprises spécialisées ou d’agences d’intérim. Certains sont en période d’essai (6 mois ou plus) et peuvent espérer un contrat permanent. D’autres présentent trop de risques pour l’employeur et quitteront le centre d’appel après deux contrats temporaires. Tous ces salariés ont une semaine flexible toutes les 3 ou 4 semaines. Ils supportent de fait tout le poids de la flexibilité et permettent aux autres salariés de bénéficier de la sécurité.
<!–[if !supportEmptyParas]–> Le management du centre d’appel déploie une politique de flexicurité implicite, tant pour le court que pour le long terme. Il doit offrir la sécurité aux salariés permanents pour rentabiliser les investissements en formation et la modernisation des services et des ventes par téléphone. Il a également besoin de salariés flexibles, pour assurer la planification de son personnel et faire face à l’accroissement de sa main d’œuvre. A court terme, les horaires de travail fluctuants et hors normes sont essentiellement couverts par le groupe des salariés en contrats flexibles. A plus long terme, les restructurations éventuelles conduisant à des licenciements pourront être gérées en réduisant les intérimaires. Ainsi les salariés permanents gagnent en sécurité au détriment de leurs collègues aux contrats précaires.
Progressivement, de plus en plus de salariés permanents acquièrent l’expérience de la flexibilité. Ils sont en effet arrivés sur le marché du travail par la voie de la flexibilité sélective avant d’entrer dans le paradis des salariés permanents. Leurs collègues plus âgés n’avaient pas fait ce parcours.
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Dans quel cadre légal s’inscrit la flexicurité
Au cours des dix dernières années, face aux coûts croissants de la maladie et des risques professionnels, les employeurs néerlandais se sont servi des nouvelles lois et ont activement participé aux évolutions qui ont affecté le marché du travail. Trois lois sont entrées en application depuis 1996 : l’une sur le maintien de la rémunération en cas de maladie, une autre sur l’incapacité professionnelle qui introduit des changements majeurs dans la structure des coûts et enfin une loi sur la réintégration des personnes handicapées. Ces trois lois avaient pour objectif commun de faire peser sur les employeurs le risque financier des indemnités à verser à leurs salariés en cas de maladie ou d’incapacité professionnelle et de les pousser à adopter une meilleure organisation du travail pour réduire ce type d’absentéisme.
Mais d’autres options étaient possibles pour les employeurs. Pour se garantir de ces nouveaux risques financiers, ils avaient la possibilité de faire davantage appel à une main d’œuvre intérimaire. C’est à ce moment là que sont apparues les premières manifestations du processus de flexicurité : plus de sécurité pour la plupart des salariés permanents, car il devenait plus difficile de les licencier ou de les transférer aux organismes chargés des prestations maladie, et plus de flexibilité pour les nouveaux embauchés, les intérimaires ou ceux qui présentaient des risques santé manifestes.
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En 1999, la loi sur la flexibilité et la sécurité est entrée en vigueur. Les organisations syndicales, les patrons et les agences d’intérim ont trouvé un compromis avec le gouvernement pour limiter les contrats les plus précaires et les plus flexibles, donner plus de protection aux salariés soumis à ces contrats et fluidifier le marché du travail. Cette loi sur la flexicurité limitait la période d’essai du personnel embauché à 2 mois. Ce fut une incitation supplémentaire pour externaliser la flexibilité. Mais la loi n’eût pas pour seul effet de promouvoir la flexibilité externe bon marché. Elle comportait pourtant des règles plus strictes pour les agences d’intérim : limitation des contrats à durée de travail excessivement variable ou des contrats n’indiquant aucune durée de travail, accès aux emplois permanents après deux ou trois missions d’intérim. La loi contribua de fait à accroître la flexibilité au sein même des agences d’intérim, en supprimant le seuil minimum de 1000 heures de travail en dessous duquel un salarié intérimaire ne pouvait être embauché.
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Les effets concrets de la flexicurité
<!–[if !supportEmptyParas]–> Globalement, la loi sur la flexicurité et l’accord sur le travail intérimaire, ont lourdement influencé l’évolution du marché du travail néerlandais. L’évaluation effectuée en 2002 montre que les coûts ont augmenté, tant pour les agences d’intérim que pour les entreprises qui les utilisaient. L’accord déterminait en effet pour les intérimaires des salaires de base presque équivalents à ceux des autres contrats de service et prévoyait également des droits à la retraite et à la formation. On peut cependant considérer que l’accès des intérimaires à des emplois pérennes est un succès. C’était l’un des objectifs du mouvement syndical.
<!–[if !supportEmptyParas]–><!–[endif]–> Les incidences directes du nouveau cadre légal sont difficiles à mesurer. Entre 1998 et 2004, le pourcentage de salariés temporaires a diminué de moitié. Cependant en 2005, la récession économique commençant à s’éloigner, le travail temporaire a repris son essor. Le développement du travail flexible est le premier signe d’une économie qui s’améliore, les employeurs ne prenant pas le risque de recruter des salariés permanents.
<!–[if !supportEmptyParas]–><!–[endif]–> C’est sur le long terme que se fait la différence entre salariés flexibilisés et salariés sécurisés. Les employeurs ont en effet découvert qu’ils peuvent utiliser la nouvelle réglementation pour obtenir une flexibilité permanente et créer une future main d’œuvre pour laquelle la flexibilité fait partie intégrante des compétences générales et de l’expérience professionnelle. Les patrons n’ont pas besoin de développer une philosophie néo-libérale inquiétante.
La flexicurité s’est ainsi installée dans les stratégies managériales des entreprises. Les réductions de coûts sont combinées avec des stratégies à plus long terme de flexibilité et de prévention des risques. Dans notre centre d’appel, les employés temporaires ne sont plus seulement considérés comme une solution de court terme pour gérer les pointes d’activité et l’absentéisme maladie, ce sont de futurs embauchés. Les agences d’intérim ont bien compris cette évolution et prennent en charge la sélection, la qualification et l’accompagnement de ces futurs salariés permanents car les dirigeants de notre centre d’appel ont des idées précises sur la force de travail « idéale » qu’ils souhaitent pour le futur.
Le taux de chômage des jeunes Néerlandais est l’un des plus bas d’Europe. C’est peut-être l’un des effets positifs de la politique nationale de flexicurité. Mais c’est aussi le reflet d’une inégale répartition de la sécurité et de la flexibilité.
Wim Sprenger
english version : Flexicurity in the Netherlands
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