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par Dominique Martinez

Entretien avec Salvo Leonardi, chercheur à l’IRES Italie.

Cette consultation a-t-elle suscité un débat entre les différents acteurs du monde du travail ?

Le livre vert a suscité un intérêt important dans la sphère académique, parmi les syndicats et certains partis politiques de centre gauche. Plusieurs conférences-débats ont été organisées par les départements de droit du travail de différentes universités, par le Conseil national de l’économie et du travail (CNEL), par la chambre des députés à l’initiative du groupe parlementaire européen de la GUE/Rifondazione Comunista. Des articles et des contributions d’experts ont été publiés dans des journaux spécialisés comme la Rivista Giuridica del Lavoro, (n. 1/07) ou sur des sites internet (Centro Riforma per lo Stato)

Qui a répondu ?

Un groupe important d’avocats du droit du travail a produit un document envoyé à la Commission européenne. Le gouvernement, au travers de son ministère du travail a exprimé sa position et les trois plus grandes confédérations syndicales CGIL, CISL et UIL ont conjointement exprimé leur avis. Des experts et d’autres partenaires sociaux se sont également exprimés individuellement.

Qu’est-ce qu’il en ressort ?

Les contributions traduisent la satisfaction de voir les institutions européennes attentives aux transformations du monde du travail et leur souhait d’anticiper ses effets sur le droit du travail et les politiques sociales. Les positions plus favorables vont aux aspects liés à la sécurité, synonymes de garantie d’employabilité et de revenu pendant les périodes de chômage. En Italie, les dépenses consacrées à l’indemnisation du chômage sont infimes et les efforts portant sur la formation tout au long de la vie ou les politiques actives du marché du travail sont insuffisants.
Au-delà, la plupart des contributions sont très critiques. Surtout celles des syndicats.

Quelles critiques adressent-ils au livre vert ?

Selon eux, sa philosophie reflète une vision typiquement néolibérale du marché du travail, influencée par l’OCDE et déséquilibrée en faveur des employeurs qui le considèrent trop rigide et à l’origine des moindres performances de l’emploi européen. Les syndicats rejettent cet argument. Pour eux, les réformes du droit du travail introduites ces dernières années ont favorisé une flexibilité déjà très élevée. Préconiser des emplois plus nombreux et de meilleure qualité est un beau slogan, mais il ne sera pas atteint en généralisant les contrats de travail flexibles et atypiques. Contrairement à ce qu’affirme le Livre vert, les études empiriques démontrent que ce type de contrats ne donne pas aux jeunes travailleurs des opportunités de carrière, de formation, un équilibre de vie et de travail. Les syndicats italiens commentent avec beaucoup d’ironie cette donnée exhibée comme une preuve de succès, selon laquelle 60 % des salariés titulaires de contrats atypiques ou à durée déterminée trouvent un emploi stable sept ans plus tard. Est-ce réellement une « bonne pratique » ? Et que deviennent les 40 % restants ? Plusieurs millions d’emplois ont été créés en Europe ces quinze dernières années, l’essentiel étant des contrats atypiques. Dans nombre de pays, parmi lesquels l’Italie, l’objectif d’un taux d’emploi de 70 % ne peut être atteint qu’en détruisant la qualité et la sécurité des emplois.

Le livre vert a-t-il posé les bonnes questions ?

Je lui reproche plusieurs choses. D’abord, c’est un outil parmi d’autres d’une régulation – connue sous le nom de Méthode ouverte de coordination – qui se prétend « douce », c’est-à-dire non contraignante, mais qui pose à mon sens toute une série de problèmes. Il faut se demander quelle la légitimité démocratique de cette procédure typiquement technocratique de fabrication de normes ? En outre, est-ce que cette méthode permet réellement de créer un ordre normatif qui protège les intérêts du monde du travail ? On a plutôt l’impression que les institutions européennes sont en voie d’abandonner leurs dernières ambitions en la matière.
Le deuxième point, c’est la superficialité du document, son approche scholastique et sa rhétorique de bon sens. Rien de comparable à ce qu’avait fait Alain Supiot en 1999 (voir son livre Au-delà de l’emploi) ou aux études préliminaires commanditées par l’Union européenne et réalisées par divers organismes ou par des groupes de haut niveau.
Troisième point : le contenu. Je suis entièrement d’accord avec les positions des syndicats italiens, mais aussi avec celles d’autres syndicalistes européens comme par exemple, celles du syndicat espagnol CCOO. Le seul bon exemple de flexicurité est le scandinave où les travailleurs et leurs syndicats ont obtenu en contrepartie d’un accroissement de la flexibilité un socle de garanties sociales élevées et très appréciable. Ces garanties, et la gestion des fonds de chômage par les partenaires sociaux, ont permis de transformer la flexibilité des emplois en une opportunité extraordinaire d’accroître le taux de syndicalisation et la sécurité des revenus des travailleurs. En dehors de cette exception, toute demande d’augmentation de la flexibilité du travail entraîne une dégradation des droits des travailleurs, un affaiblissement des taux de syndicalisation, une diminution de la représentation syndicale à l’intérieur de l’entreprise, avec des conséquences évidentes en ce qui concerne les salaires, le temps et les conditions de travail, etc. C’est un cercle vicieux.

Propos recueillis par Dominique Martinez

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