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Les réformes sociales du premier gouvernement Sarkozy sont à la peine. Alors que la croissance n’est pas (encore ?) au rendez-vous et que le coût de la vie grimpe, le « travailler plus pour gagner plus » se révèle complexe et peu rémunérateur, la réforme des régimes spéciaux de retraite moins équitable qu’il n’y parait à première vue et difficile à ajuster. Quant aux négociations sociales sur les contrats ou les conditions de travail, elles sont plus aléatoires et crispées qu’attendu. Enfin, les dégâts collatéraux de l’affaire des fonds de l’UIMM touchent patronat et syndicats dans leur ensemble, les meilleures défenses ne parvenant ni à colmater les doutes, ni à lever les hypothèques de processus par trop « endogames ».

Si le social est à la baisse, l’environnement est lui plutôt à la hausse. De l’avis de beaucoup le « Grenelle » de l‘environnement, ce premier sommet sociétal d’un nouveau type, a été plutôt une réussite. Ses résultats sont certes en demi teinte et ses financements renvoyés à « l’après » alors que rien n’est bouclé ou même chiffré. Ajoutons aussi les signaux parfois contradictoires envoyés par la Commission Attali pour « libérer la croissance » qui incitent à la vigilance et à une certaine « précaution »….Et pourtant, réussites il y a. Celle de la visibilité – difficile de ne pas en avoir entendu parler tant les médias de toutes sortes y ont prêté attention comme celle de l’implication forte et de la découverte réciproque des 250 acteurs de toute sorte qui y ont participé, allant jusqu’à nouer des alliances ou des convergences inédites. Celle enfin du processus lui-même : groupes de travail, tables rondes, présence de tiers, ouverture à l’ensemble de la société – malgré les couacs du rapport aux régions – transparence des discussions….

Les emprunts à la négociation sociale plus classique – qui se déroule au même moment sans faire l’objet d’un battage médiatique aussi intense – sont légion : le terme même de « Grenelle » qui renvoie aux accords sociaux de 1968, la constitution de collèges, l’annonce de critères de représentativité pour la mise en place d’une véritable démocratie écologique, pour ne pas parler du rôle souvent éminent joué par les partenaires sociaux… Mais en retour n’est-il pas temps que le dialogue social s’inspire des innovations du Grenelle de l’environnement ? Elargissement du nombre des acteurs, participation ouverte à l‘ensemble des citoyens, transparence dans les discussions et leurs résultats, comités de suivi, les innovations environnementales gagneraient à être reprises pour les Grenelles « première génération » …. Les trois conférences sociales en cours ont de ce point de vue là un train de retard…. L’environnement, par son caractère de bien public transcende bien des frontières et implique bien des forces différentes.. Le social est lui passé d’une sphère publique à une sphère largement autonome voire « réservée ». Il est temps de l’ouvrir, de lui rendre son caractère sociétal, faute de quoi ses résultats, ses procédures comme ses acteurs seront frappés d’incomplétude, d’obsolescence et d’a-pertinence.

Difficile de ne pas évoquer dans ce contexte les grèves qui affectent entreprises ou fonctions publiques. Sur le sujet, tout a été dit ou presque. Ce que nous retiendrons ici, ce sont les enjeux de moyen terme auxquelles elles renvoient. Quel exercice du droit de grève et quelles formes de conflictualité et d’alliances sociales demain et c’est sans doute là pour l’instant que l’image de « Grenelle » est à la fois prometteuse mais au moins pour le moment surdimensionnée? Quelle présence et quelle action syndicale hors secteur public ou en d’autres termes quels rapports de forces les collectifs salariaux sont-ils en mesure d’engendrer sur les questions concrètes du travail contemporain, à commencer par celles qui se discutent dans les grandes conférences salariales ? Quelles évolutions pour ce dialogue social à la française à qui, entre négociation et information-consultation dans le public comme dans le privé, manque un maillon essentiel, celui de la codétermination et donc de la corresponsabilité ? Enfin, quid d’une refonte des protections sociales pour tenir compte de ce que sont devenus les risques sociaux contemporains: nouvelles problématiques de santé, nouveaux types de famille et nouveaux modes de vie, vieillissement et dépendances, trajectoires et transitions professionnelles, multinationales et réseaux productifs mondialisés ? Comment redessiner des solidarités à nouveau « universelles », allant jusqu’à inclure des mécanismes si ce n’est transnationaux du moins européens ?
Là, comme ailleurs, un new deal est aussi urgent que bienvenu. Et en Europe, cela ne concerne pas que la France.

Claude-Emmanuel Triomphe

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