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Champions du monde du pessimisme les Européens ? C’est du moins ce qu’affirme un sondage réalisé dans 53 pays ! Il n’est pas franchement certain que 2011 annonce la fin de notre dépression européenne, mais histoire de faire la nique aux sondages, ce sont les vœux que nous formulons. Européens, Européennes, il est temps que, sans nous fermer au monde, nous nous mettions à croire un peu plus en nous-mêmes, en nos talents, en nos valeurs, en notre inventivité.

 

Certes, la crise bat son plein en Irlande, au Portugal, en Grèce et dans certains pays d’Europe orientale. Mais d’autres, comme l’Allemagne, la Pologne, l’Autriche ou la Suède semblent plutôt en forme. Et puis, cette merveilleuse nouvelle, quoique inattendue, qui nous vient pour une fois d’un pays arabe: la Tunisie vient d’en finir avec un régime autoritaire et corrompu. Il était temps que l’on puisse commencer à respirer de l’autre côté de la Méditerranée : Tunisie aujourd’hui, Algérie, Egypte ou Lybie demain ? Tant de colosses ont des pieds d’argile.

 

De notre côté de la Méditerranée, d’autres inquiétudes persistent. Liées à l’incapacité de faire face aux défis contemporains, à des tentations de replis multiples : sécuritaires, xénophobes, nationalistes ou autres. Et quand le pays qui préside l’Union donne l’exemple en détricotant le droit social par des procédés anti-constitutionnels, l’inquiétude devient consternation. Quelques années auparant, lorsque l’Autriche avait conclu un accord politique entre la droite et l’extrême droite, l’Europe avait crié au loup. Là, rien ou presque ! Indignez-vous diraient certains !

 

Dépression disais-je. Vous allez trouver qu’en ce début 2011, il ne fallait pas en rajouter avec un dossier autour des suicides et du travail. 18 mois après, il nous a paru indispensable de revenir sur ce qui a été en 2009 un traumatisme, un « Tchernobyl social » français : la crise des suicides chez France Telecom. L’onde de choc, a comme beaucoup d’autres, dépassé les frontières nationales et dans de nombreux pays l’interrogation sur le lien entre suicides et travail est posée. Or, le moins que l’on puisse dire c’est que la question ne fait pas consensus.

 

En matière de comparaisons internationales, si la France est un pays qui se situe un peu en dessous de la moyenne européenne ; il n’en reste pas moins que l’on s’y suicide plus que dans la quasi totalité des pays d’Europe de l’Ouest. Dominique Méda et alain Lefèbvre dans « Faut-il brûler le modèle social français ? » rappelaient déjà que l’on se suicidait plus en France qu’en Suède par exemple. Pour ce qui est du lien suicide et travail toutefois, les travaux restent fragmentaires et leurs interprétations divergentes. Et l’on notera que partout dans le monde la « suicidalité » des hommes est bien supérieure à celle des femmes. Faut-il suivre Metoda Dodic- Fikfak, épidémiologiste, qui montre combien les crises peuvent être porteuses de désespoirs et donc de facteurs pouvant favoriser le passage à l’acte.Ou bien faut-il plutôt considérer comme Vivianne Kovess, épidémiologiste de renom et spécialiste de santé mentale, que ce lien est ténu et qu’il y a un déni de la maladie mentale, y compris sur le lieu de travail ? Prudence donc.

 

Ce qui est certain par contre, c’est que les suicides peuvent servir comme révélateurs d’une crise aigue des conditions de travail. « Que faire ? » s’interroge Benjamin Sahler, consultant et encore récemment responsable régional à l’ANACT (i) . Il nous invite à envisager des plans de prévention qui évitent l’illusion d’un phénomène homogène en partant d’une vraie identification des facteurs de risques.

 

Le large déni qui entoure ces questions va souvent de pair avec le déni d’une transformation du travail qui pèse lourd sur les personnes et donc sur leur santé comme le montre François Cochet, expert auprès des comités d’entreprise et des CHSCT (ii) qui est intervenu chez France Telecom, en particulier après le suicide d’un salarié de la plate forme d’appel d’Annecy. Sans se prononcer sur l’imputabilité des suicides, et refusant d’investiguer la santé mentale des salariés, il souligne combien les questions du travail et de ses conditions avaient été prises à la légère par l’entreprise. Et l’on sait qu’elle est loin d’être la seule. Soyons justes cependant : la réaction de France Telecom, bien que très tardive, c’est aussi désormais l’espoir d’un nouveau contrat social et une série de négociations parfois audacieuses en matière d’organisation du travail, domaine jusque là tabou de la négociation collective puisque considéré comme de la prérogative exclusive des employeurs. Nous y reviendrons en détail très vite.

 

Au-delà des suicides, la question posée par plusieurs de nos contributeurs est celle du huis clos. Celui du travail notamment. Car la sphère professionnelle du salariat s’est construite comme un lieu à l’écart du monde, un monde en soi. Conséquence des dures contraintes du droit de propriété – l’entreprise est un bien dont on pouvait user et abuser – les constructions sociales se sont succédées. Elles ont parfois contribué à la fermeture et à l’enfermement au sein du travail d’un certain nombre de questions de santé, de dialogue ou d’organisation des temps tout en manifestant le souci de l’ouverture au monde. Ce faisant, n’ont-elles pas aussi contribué à l’enfermement des personnes ? N’aurait-il pas mieux valu chez France Telecom un plan « social » assumé permettant les départs tout en les accompagnant plutôt que d’un maintien de l’emploi, jugé apriori positif mais dont l’on avait sous-estimé les effets délétères ? Ne nous faut-il pas des constructions sociales et professionnelles plus ouvertes, qui permettent plus qu’elles ne bloquent ? C’est un sujet fondamental pour le travail comme pour nos sociétés.

 

i Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail
ii Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail

 

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