5 minutes de lecture

dkb portrait 2

  Une boutade pour commencer : « l’éducation ça sert à faire des révolutions ! ». L’action décisive en Tunisie et en Égypte des jeunes diplômés contraints à l’inactivité ou à occuper des emplois sans rapport avec leur qualification l’atteste. C’est réconfortant, mais comme la révolution ne se fait pas tous les matins, il faut être patient… En attendant, l’éducation croule sous les diktats : transmettre des connaissances, de la culture, un héritage historique (une identité nationale ?), trouver un métier. Former des citoyens responsables, épanouis, éco-responsables… Et puis ?

 

Reprenons. Globalement et sur le parcours d’une vie professionnelle, en Europe et en France, les diplômes et un bon niveau d’éducation initiale protègent du chômage. Mais… le déclassement existe aussi en Europe et persiste : au Portugal, en Italie et même au Royaume-Uni ! L’économie de la connaissance qui devait assurer à l’Europe croissance et rayonnement est loin derrière nous. Les politiques d’austérité actuelles n’arrangent pas les choses, surtout lorsqu’elles sont aveugles, coupent dans les budgets et les effectifs sans examen préalable, suppriment la formation professionnelle des enseignants comme en France et conduisent à mettre des jeunes enseignants inexpérimentés devant des classes difficiles. En Irlande, la radicalité des mesures prises depuis trois ans à tous les niveaux, met à mal la cohésion sociale.

 

Le système de formation initiale (école, collège, lycée et enseignement supérieur) détermine l’emploi et le métier de chacun le plus souvent, quoiqu’on en dise, pour toute une vie. Quelques constats :

 

En France, l’orientation vers les filières professionnelles se fait toujours par défaut. François DUBET souligne qu’il en est de même pour les formations en alternance (« dépotoirs ») : assez paradoxal puisqu’en fait il faut davantage travailler lorsque l’on mène de front travail et cours… Le seul pays qui échappe à cette malédiction de l’apprentissage est l’Allemagne : avec un système dual qui connaît des problèmes, mais structure toujours les formations professionnelles et les cultures de métiers. En France, les gouvernements successifs ont depuis des lustres fait des plans de « relance », ou de « revalorisation » de l’apprentissage, on peut devenir ingénieur, comptable ou notaire par la voie de l’alternance, mais l’image reste la même et les familles répugnent à ce que leurs enfants suivent cette filière s’ils n’y sont pas contraints.

 

C’est que le système éducatif français est comme «  aimanté » par les filières générales, et au sein des filières générales par la voie mathématiques + physique  (les classes « S ») et au bout les classes préparatoires aux grandes écoles. C’est un peu comme si tout était bâti à l’envers, on ne s’intéresse pas à la base de la pyramide de ce que serait une population qualifiée et éduquée (des savoirs de base et des apprentissages de méthode – apprendre à apprendre – pour tous) mais à sa pointe extrême : Polytechnique et le « Top 5 » des grandes écoles d’ingénieurs et des business schools. « Égalitarisme de façade (puisqu’on entre dans ces écoles par concours), et hiérarchies des plus affirmées », écrit Pierre VELTZ dans son livre « Faut-il sauver les Grandes Ecoles ? ». Or cette sélection par les matières les plus abstraites et par les canaux élitistes des meilleurs établissements, voire des établissements privés, forment des responsables peu innovateurs, qui ne créent pas d’entreprises par peur du risque (à la différence des étudiants des grandes universités américaines) et incultes en matière de management et relations humaines. Rachel BEAUJOLIN montre combien les relations sociales, le monde du travail a peu de place dans les enseignements des business schools et comment cela contribue à fabriquer une conception de l’être humain et d’une élite hors-sol.

 

La formation permanente « tout au long de la vie » selon l’expression consacrée à l’échelon européen ne permet pas, sauf exception notable, de corriger les inégalités de départ. Sauf peut-être dans les pays où « l’on retourne facilement à l’université » (les pays scandinaves) ou dans quelques open universities de Grande-Bretagne.

 

Le cheminement de chacun dans le système éducatif détermine donc fortement l’emploi ou les emplois que l’on va occuper, le travail que l’on va faire, les conditions de travail que l’on va subir. D’où la grande mobilisation des familles pour chercher les bonnes filières, pour « pousser » les enfants, mais qui est, elle aussi conditionnée par leur niveau socio-culturel et surtout leur insertion dans la société. Marie DURU-BELLA souligne ainsi l’importance du « maillage relationnel », de « la confiance dans les institutions, les autres et soi-même ». Des comparaisons entre de nombreux pays (dont le Canada et les USA) lui permettent de montrer comment le système scolaire et la société peuvent diverger l’un de l’autre.

 

Nombreux sont les enseignants qui s’emploient à mettre en place des innovations. Jean-Marie BERGERE raconte la belle aventure des «  ateliers philo » dans une classe maternelle, captée par le film « Ce n’est qu’un début ». Il en conclut que le dialogue, la démocratie ne s’apprennent pas comme les SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) ou ce que l’on a longtemps appelé « l’éducation civique », mais se pratiquent. Le Prix Nobel de physique Georges Charpak favorisait avec son association « La main à la pâte » des apprentissages autres que la transmission de la parole du « Maître »… Cela peut valoir pour le management et les relations de travail !

 

 

Pour poursuivre :

– Pierre Veltz, Faut-il sauver les grandes écoles?, Les Presses de Sciences Po, 2007

– Christian Baudelot, Roger Establet, L’élitisme républicain, L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, La République des Idées, Seuil , 2009

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.