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Margaret Thatcher représentait à peu près tout le contraire de ce que les Européens attachés au social pouvaient penser: sa rhétorique – et son action – anti syndicale, sa promotion d’une Europe réduite au marché commun, sa défiance devant toute construction communautaire, son refus d’une Europe solidaire et sociale et j’en passe !

Metis ne va ni ne veut la pleurer. Même si, trop d’Européens de l’Ouest l‘oublient, Margaret Thatcher était à l’époque l’un des chefs de gouvernement les plus populaires à l’Est. Ces pays vivaient encore à l’heure du socialisme réel. Elle y représentait celle qui n’avait pas renoncé à lutter contre la domination soviétique, les autres, Français et Allemands étant réputés comme trop accommodants. Celle qui en secouant le social chez elle, bousculait le socialisme chez eux. Il n’est donc pas étonnant que ces pays l’aient non seulement toujours révérée mais qu’ils aient été ses premiers héritiers hors Iles Britanniques. Héritage encore bien présent aujourd’hui.

La période Thatcher a été aussi le début d’une nouvelle ère. Celle de la fin du compromis entre les grands courants sociaux-démocrates et socio-chrétiens qui avaient construit l’Europe d’après guerre. Celle du début d’un nouveau libéralisme qu’elle a porté haut et fort dans le monde avec Ronald Reagan, malgré leurs nombreuses divergences, illustré par cette phrase restée fameuse « il n’y a pas de société, il n’y a que des individus », cette pénétration thatchérienne en Europe est allée très loin, très profond. C’est autour de ses idées que le débat communautaire a souvent porté, c’est son fondement rhétorique qui nourrit aujourd’hui encore une bonne part des processus communautaires, des discours ou des politiques de la Commission et de nombreux Etats membres. Seule la crise a été capable de questionner cet « acquis » mais de manière encore bien fragile tant les ressorts du thatchérisme et du néo libéralisme sont encore puissants. David Cameron qui plaide pour une Europe à la carte, plus flexible, plus concurrentielle, plus dérégulée, en est l’un des porte- drapeaux les plus caricaturaux. La victoire thatchérienne, catalysée par l’élargissement de l’UE, n’est sans doute pas définitive. Mais elle a fait une victime : c’est l’Europe sociale d’une part, désormais à l’agonie, et la construction communautaire qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, qui n’a plus – ou presque plus – rien d’une Europe communautaire car solidaire. L’on a voulu croire que le mal était limité : il n’en est rien malheureusement. Trop de temps a été perdu à la recherche de compromis impossibles. C’est donc une refondation qu’il va falloir entreprendre, pour ne pas parler en l’air !

Coïncidence: nous avions prévus depuis quelques mois de consacrer notre dossier d’avril à la question du détachement des travailleurs et du dumping social. La construction communautaire a toujours voulu, du moins jusqu’à récemment, limiter cette forme de dumping et a pour cela émis plusieurs directives, dont celle relative aux prestations de travail transnationales appelées dans le jargon bruxellois détachement des travailleurs : il s’agit pour les entreprises d’un Etat membre qui envoie ses travailleurs pour une durée limitée dans un autre Etat de ne pas faire n’importe quoi et de respecter un certain nombre de normes sociales minimales. C’est ce qu’on appelle le principe du pays d’accueil dont on a vu combien il pouvait être bousculé, avec la directive sur les services, ex-Bolkestein. On voit aussi combien aujourd’hui les règles qui s’en inspirent sont peu respectées et trop souvent contournées.

Le dumping social qui sévit aujourd’hui est considérable et accéléré par la crise. Mais il pèse sans doute moins lourd que le dumping fiscal. Là encore merci Margaret … si j’ose dire ! Les révélations menées par plusieurs journaux européens dites Offshoreleaks, l’affaire Cahuzac en France et bien d’autres de cet acabit chez nos voisins, montrent à l’envie que le défaut d’harmonisation fiscale est au moins aussi délétère que l’hétérogénéité sociale.

Que faire ? Nous touchons là aux limites de la construction communautaire et aux transferts de souveraineté jusqu’ici consentis. Dans un cas comme dans l’autre, nous en sommes réduits à des mécanismes de contrôle nationaux, censés coopérer entre eux – vous verrez ce qu’il en est pour la question du détachement dans le dossier – et qui coopèrent mal. D’autant que pour ce qui concerne le fiscal, les possibilités hors UE sont multiples et d’une facilité enfantine. Ce qui nous manque donc, ce sont, entre autres, des autorités de surveillance adaptées aux réalités du marché. Des autorités transnationales, ou à tout le moins communautaires, dotées de stratégies claires, de ressources convenables et de sanctions effectives. Puisque le monde bancaire a sur ce point commencé à bouger, les mondes fiscaux et sociaux pourraient-ils suivre ? Rien n’est moins sûr. Et l’on n‘entend guère sur ces points, autrement que par des rhétoriques assez creuses, les voix des gouvernements a priori peu suspects d’être les « likers » de la Dame de fer ! God, save them !

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