L’Allemagne de G. Schröder avait innové avec les jobs à un euro pour les bénéficiaires de minima sociaux et avec les mini jobs. La Grande Bretagne a fait récemment très fort avec les zero hour contracts, aucune garantie de temps de travail et aucune garantie de revenu. L’Espagne, grâce à la Troïka, développe à son tour une précarité légale. On pourrait allonger la liste des pays européens qui créent des emplois légaux au rabais, la crise ou dépérissement durable leur est favorable. Zoom sur l’Espagne.
Vincente Avarro, professeur d’économie aux universités de Barcelone et de Columbia, dénonce dans Social Europe les réformes désastreuses du marché du travail en Espagne et leur objectif caché.
A l’origine, la crise particulièrement aigüe en Espagne et trois réformes du marché du travail imposées par la Troïka avec la complicité des gouvernements successifs de gauche et de droite. Le dogme qui énonce que les salariés bénéficiant de contrats stables sont trop protégés (la faute aux syndicats) et que dès lors les employeurs rechignent à embaucher, ce dogme donc, qui sévit un peu partout en Europe, a servi de ligne directrice aux réformes espagnoles. Résultat, les employeurs ont utilisé massivement les nouvelles possibilités de licenciement, ils ont également embauché, moins qu’ils n’ont licencié, et à des rémunérations bien inférieures. Les chiffres en témoignent. Entre fin 2011 et fin 2013, plus d’1 million d’emplois ont été détruits et le chômage a augmenté de 622700 personnes, dont près de la moitié ne touchent aucune indemnité, conséquence de la 3e réforme du marché du travail.
Parallèlement, les conditions de travail se sont dégradées et le travail précaire s’est développé, les « shit jobs » comme les appellent les syndicats. 92% des nouveaux emplois relèvent de cette catégorie, quant au chômage, sa durée s’allonge, ce que l’on constate également en Grèce, autre « victime » de la Troïka.
Echec patenté des réformes induites par la Troïka estime Vincente Avarro mais succès sur une autre dimension soigneusement cachée mais activement recherchée : la baisse des salaires. En 2 ans, les salaires ont diminué de 10%. Un effet collatéral des réformes Schröder considérées comme exemplaires et modèles du genre pour améliorer la compétivité. Autre dogme largement partagé en Europe.
La part des revenus du travail ne compte plus que pour 52% de l’ensemble des revenus. Dans le même temps, les revenus des 20% les plus riches ont considérablement augmenté. Bref, les inégalités s’accroissent et l’Espagne est proche du record des pays de l’OCDE les plus inégalitaires. Les enfants en situation de pauvreté sont trois fois plus nombreux que dans la moyenne européenne.
Les dépenses sociales (Etat providence) ont également fortement régressées, elles font de l’Espagne le pays qui dans l’Europe des quinze dépense le moins par tête. Le système de santé a été le plus touché, 55 000 emplois détruits et une baisse des dotations de près de 13 millions d’euros.
Conséquence, 82% des Espagnols déclarent ne plus aimer l’Europe, le rêve de l’Europe démocratique et prospère qui avait enthousiasmé les Espagnols au lendemain de la dictature ne fait plus recette. Que voteront -ils aux prochaines élections européennes ?
Photo: CC/Flickr/misko13
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