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Plusieurs arrêts des hautes juridictions françaises et européennes viennent d’être rendus sur des affaires hautement symboliques pour nombre d’Européens : le port du voile. La Cour de Cassation française vient de confirmer la légalité d’un licenciement prononcé par la crèche Babyloup envers une salariée qui avait décidé de porter un voile islamique sur son lieu de travail. Tandis que la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’a pas, en dépit de certaines réserves, censuré les règles instaurées par l’Etat français afin de proscrire le port du voile intégral dans l’espace public. Alleluia ?

 

Nous laisserons à d’autres le soin de commenter ces jugements pour nous arrêter sur trois points : la résilience des religions, la panne de l’intégration, la solitude de l‘entreprise.

 

La résilience des religions

La France, plus que d’autres, pensait avoir réglé une fois pour toutes la question du rapport entre religion et société et ce au prix d’un compromis subtil avec les Eglises, à commencer par la catholique, portant sur une certaine notion de la laïcité. Mais ce compromis, outre le fait qu’il a été soumis régulièrement à de multiples pressions ou exceptions, ne peut aujourd’hui perdurer sans être refondé et ce pour des raisons très diverses. En effet, un compromis ne peut être acceptable et accepté sans qu’y participent les parties en présence : or en 1906, l‘islam était tout simplement absent de l’hexagone alors que le judaïsme se faisait très discret, ce qui là aussi a cessé. La seconde tient à la transformation de nos sociétés, de leurs mœurs et du rôle de la loi : le moi ou la « tribu » l’emportent aujourd’hui largement sur le collectif et l’on voit à de multiples occasions combien aujourd’hui l’intérêt général est devenu compliqué pour ne pas dire abandonné. La troisième c’est tout simplement que le fait religieux n’est pas en voie d’extinction comme certains l’ont longtemps pensé ou le pensent encore et l’islam est loin ici d’être isolé : que l’on pense à la vivacité des églises évangéliques, des chrétiens orientaux, du bouddhisme – dont la France est le pays européen d’implantation – voire de certains groupes catholiques. Cela ne contredit pas une laïcisation avancée de la société française – et de manière sans doute plus prononcée que chez beaucoup de nos voisins – mais rend compte d’un fait nouveau : les croyants ne sont plus « invisibles » et veulent se faire entendre.

 

L’intégration en panne

La question du fait religieux renvoie aussi, pour ce qui concerne l’islam plus que pour d’autres, à une certaine ethnicisation (non pas au sens où tous les musulmans seraient arabes mais où peu d’entre eux sont « blancs »). La modèle français, basé sur l’intégration a jusque-là plutôt bien réussi parce qu’il portait bien plus que la notion d’intégration au sens strict. Il portait avec lui les notions de progrès, d’égalité des chances et d’une certaine universalité des valeurs. Or ces « compagnons » de l’intégration sont aujourd’hui en piteux état ! L’élitisme et l’entre soi à la française font des dégâts considérables, et ce bien au-delà des groupes issus de l’immigration . Quant à l’universalité des valeurs, à commencer par celle de la fraternité, elle ne fait plus recette : l’individualisme n’est-il pas en train de tuer l’idée d’une norme commune ? Ne rompt-il pas, en dépit des discours portés ici et là, l’égalité ? Que dire enfin d’une solidarité qui se réduit comme peau de chagrin dans un modèle social secoué par des mutations et des insécurités de toutes sortes et qui est trop souvent dévoyée par ceux qui, institutions ou individus, en font profession ?


L’entreprise solitaire

La voilà sommée de régler des tas de phénomènes nouveaux et le fait religieux n’en est qu’un parmi d’autres. Beaucoup d’entre elles ont cru ces dernières années que la promotion de la diversité et qu’un certain nombre d’accommodements, souvent mais pas toujours raisonnables, allaient régler les choses. Mais l’affaire s’avère beaucoup plus complexe que prévu. Il est difficile d’être  » divers » sans en assumer la globalité et les conséquences. D’autant que dans le même temps l’entreprise a beaucoup misé sur l’individu et négligé, quand ce n’est pas nié, les groupes à commencer par les collectifs de travail ou bien encore les syndicats (qui eux même ont préféré fermer les yeux voire nier ces diversités au nom des risques d’éclatement qu’elles comportaient). Ajoutons à cela que les pouvoirs publics s’en sont remis à elle pour régler des problèmes qui les dépassaient et voilà, qu’après la vague de chartes de la diversité émergent les chartes de la laïcité. Mazeltov ? A l’évidence cette responsabilité ne peut reposer sur la seule entreprise, fût-elle appuyée par tous ses salariés.

 

On comprendra donc que les décisions de justice ne sonnent certainement pas la fin de la partie. Qu’il est temps ici comme ailleurs de refonder plus que de rafistoler. Que l’individualisation comme la privatisation à outrance génèrent aujourd’hui des tas d’effets collatéraux sur lesquels il nous faut plus que jamais réfléchir, débattre et agir. En prêtant attention à ce que font les autres en Europe et au-delà.

 

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