Faut-il encore espérer quelque chose de la Commission Européenne ? Sa manière de fonctionner, son autisme vis-à-vis de nombreuses questions, sa langue de bois, ses dogmes libéraux parfois encore plus durs que ceux professés à Washington… : nombreux sont les arguments qui ne plaident pas en sa faveur. Mais la nomination de Jean Claude Juncker, ancien leader d’un pays fondateur et politicien expérimenté, pourrait (peut-être) changer la donne et la nouvelle Commission, qui entrera en fonction le 1er novembre, nous surprendre. Voyons pourquoi.
Il serait fastidieux de passer en revue les parcours et attributions des 28 commissaires (dont certains font polémique). N’en retenons que quelques-uns : c’est désormais à un Letton qu’échoient les questions de l’euro et … du dialogue social ! Voilà un signal nouveau pour ceux qui plaident en faveur de l’articulation des politiques économiques et de la place fondamentale du dialogue social. Il n’est sans doute pas étranger à la culture tripartite luxembourgeoise chère à M. Juncker. Affichage ou inflexion en profondeur ? Attendons les paroles – encore rares – et, surtout, les actes. Alors que les Français ont bataillé pour décrocher – et obtenir – le portefeuille des affaires économiques, c’est un commissaire allemand qui est chargé de l’économie numérique. Ce signal n’est pas à prendre à la légère et en matière d’investissements d’avenir, en voilà un qui vaut plus que mille résolutions.
C’est enfin à une Belge qu’est confié le portefeuille des affaires sociales et de l’emploi. Là encore, le fait que cela soit une commissaire d’un pays fondateur et pour lequel la dimension sociale est centrale n’est pas anodin. Démocrate-chrétienne – alors que le portefeuille revenait depuis longtemps à des sociaux-démocrates de pays plus périphériques- elle devra montrer que les réformes du marché du travail peuvent être marquées du sceau de l’innovation sociale et pas seulement de celui de l’austérité. Et la manière dont elle jouera le duo avec son collègue chargé du dialogue social sera suivie avec intérêt. Tout cela devrait nous changer des mandatures précédentes où se sont succédés des commissaires souvent dépourvus de toute culture voire de toute conviction en la matière.
Au-delà des personnes et des portefeuilles, M. Juncker s’est engagé en faveur d’un fonctionnement plus transversal et d’une parole plus audible. On ne peut qu’applaudir mais on attend de voir venir là aussi. Ceci étant dit, les questions à l’agenda des prochaines années seront lourdes : comment passer d’un Europe du budget à une Europe du projet ? D’une Europe du marché et des règlements à une Europe du contrat social ? D’une Europe du repli sur soi à une Europe pour tous ? D’une Europe qui sache réinventer son (ses) territoire(s) ? Nous plaidions en mai dernier pour que des élections européennes surgisse une Europe en mouvement, qui cesse d’être engoncée dans les conservatismes, une Europe qui fasse place à une Europe de l’imagination, de l’innovation et de l’initiative de ses citoyens. Ces espoirs nous les maintenons ; ils nous engagent.
Mais ils dépassent la seule Commission. Car il faut le répéter encore et encore : les compétences de celle-ci sont celles qui lui sont conférées par les traités et pour ce qui concerne la trajectoire du bateau européen les Etats-membres ont des responsabilités éminentes. Il n’est pas pensable qu’une autre Europe se fasse à compétences constantes – ne prenons qu’un exemple : les compétences migratoires qui ressortent encore largement du domaine des Etats-membres – ou à budget égal (1% du budget des Etats-membres). Dépasser, innover, relier : telles sont les mots clés du futur.
P.S. Le dernier édito sur la politique de l’offre et les gauches européennes a suscité un gros débat dans le comité de rédaction de Metis et au-delà. Je ne retire rien de ce qui a été écrit et mûrement pensé. Mais clarifions certaines choses :
– Cet édito n’oppose pas comme on le fait souvent dans les médias la politique de l’offre à celle de la demande. Il se contente d’analyser ce qui différencie la politique de l’offre actuelle de la précédente et en quoi celle-ci fait l’impasse sur la question du travail.
– L’allusion à la légitimité du gouvernement français, protégé par les institutions de la 5ème République est partagée par de nombreux analystes politiques et non des moindres. De là à plaider pour une 6ème République, il y a un pas qui n’a pas été franchi.
– En dépit de son potentiel, de ses richesses et de sa créativité, la France, par le poids de ses handicaps cumulés, peine aujourd’hui à influencer ce qui pourrait être une autre Europe et ce sur bien des plans : politique économique et budgétaire, politique internationale et de voisinage, environnement, libertés publiques, mutations liées au numérique et last but not least .. Europe sociale !
– Du boulot, il y en à Bruxelles, mais aussi à Paris et dans bien d’autres coins !
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