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Nos sociétés, notamment dans le pourtour de la Méditerranée, connaîtraient-elles un déficit de réformes structurelles ? Et en particulier s’agissant de leurs marchés du travail ? C’est ce que prétend depuis des années la Commission Européenne et avec elle une large partie des élites politiques et économiques, social- démocratie largement incluse. Et pourtant deux séries de travaux récents font planer un sérieux doute sur cette doxa ou du moins sur son caractère universel pour ne pas dire automatique.

 

L’institut allemand IMK vient de publier un rapport sur les effets des politiques imposées par la fameuse troïka en Grèce. Ce rapport, disponible aussi en anglais, émet des conclusions éclairantes : ces mesures, bien que drastiques et souvent brutales, n’ont pas abouti à réduire en quoi que ce soit la dette du pays, elles ont contribué à l’enfoncer davantage sur le plan économique comme sur le plan social. Le rapport n’en conclut pas pour autant qu’il ne faut pas réformer, il dit juste que ce qui a été mis en œuvre – c’est-à-dire des coupes dans les dépenses en l’absence de toute amélioration de l’économie hellénique – explique quasiment à lui seul la baisse du PIB et la détérioration du ratio dette /PIB». Instructif.

 

De son côté, France Stratégie, la nouvelle dénomination de ce que fut jadis le Commissariat général au Plan, a organisé récemment un séminaire de haut niveau sur la flexibilité, les réformes et le dialogue social menées en Allemagne et en France. Là encore, les analyses qui y ont été présentées méritent que l’on s’y arrête. Qu’est-ce qui fait le miracle allemand ? Les réformes du marché du travail dites Harz célébrées de ce côté du Rhin ? Les Allemands notent eux que leur pays est depuis près d’un siècle la première puissance industrielle du continent – et ce en dépit de la seconde guerre mondiale – et que son économie comparée à celle de nombre de ses voisins a un caractère beaucoup plus balancé : les PME, petites ou grandes, y sont foison, les relations interindustrielles moins déséquilibrées, les délais de paiements plus courts et plus respectés, les dépenses de recherche et développement plus élevées. Certes la segmentation du marché du travail y est sévère – notamment en ex-RDA – et gagner un ou deux euros de l’heure y était légal, du moins dans les secteurs non soumis à conventions collectives et en attendant l’introduction du salaire minimum. Il n’en reste pas moins que l’industrie y a un fort pouvoir d’entraînement économique et social et que les structures de la négociation sectorielle et du dialogue social en entreprise, jouent en faveur et d’un certain réalisme et d’une réelle convergence au niveau national. Enfin, outre Rhin, le management est plus ouvert, les organisations plus innovantes, des lignes hiérarchiques moins nombreuses etc…

 

Si la France se compare à l’Allemagne, c’est ce tout qui doit être pris en compte, bien au-delà des réformes Harz qui n’ont joué en Allemagne qu’un rôle complémentaire, voire selon certains auteurs, subsidiaires. Il serait bon d’en tirer quelques enseignements. Réformer le marché du travail, sans réformer d’abord et en profondeur les organisations, le management, les relations interindustrielles – et la culture de la prédation des grands groupes qui continue à sévir, nonobstant la signature de chartes de bonne conduite – réformer sans investir massivement dans la recherche et l’innovation, c’est réformer sans solutionner. Et puisqu’il va être aussi question de rénovation du dialogue social, à quand la recherche de nouveaux équilibres et de nouvelles responsabilités ? A quand une présidence salariée des comités d’entreprise comme le suggère le rapport Gallois ? A quand des accords collectifs à durée déterminée et non reconductibles qui obligeraient les partenaires sociaux à prendre en compte les mutations rapides de nos environnements plutôt que de procéder, comme c’est le cas depuis trop longtemps, à de tacites reconductions qui rendent nombre de dispositions conventionnelles obsolètes ?

 

Trop de réformes engagées en Europe l’ont été de manière très idéologique, sans la moindre évaluation « ex post » de leurs effets réels. L’Hexagone lui se prétend social-démocrate tout en faisant des choix plutôt sociaux-libéraux. L’on en voit les impacts, pour ne pas dire les dégâts. Demain continuera-t-il de ressembler à hier ?

 

 

PS: si vous avez envie de vous plonger dans les modèles économiques du futur et de leurs impacts sur le travail, venez faire un tour à la journée exploratoire du 23 avril organisée par la Société Française de Prospective et à laquelle s’est associée Metis.

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