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Anonymous female

Suzanne M. travaille depuis trente-cinq ans dans le même groupe, dont elle est actuellement membre du conseil d’administration. Syndicaliste, ayant à son actif trente-trois ans de mandats de représentation du personnel, elle a siégé à tous les postes, excepté au comité européen. Elle livre à Metis son expérience et son rapport avec les directions des ressources humaines.

 

 

 

 

 

 

 

Un de vos collègues de la même organisation syndicale nous révélait il y a deux ou trois ans que la RSE était très compliquée, tant pour le syndicaliste que pour le DRH, car elle oblige à parler des autres. Et qu’aller sur ce terrain, c’est prendre le risque de s’éloigner des préoccupations des salariés. Êtes-vous d’accord, et sentez-vous les DRH de votre entreprise sensibles à cette problématique ?
Ils en sont effectivement encore très éloignés. Peut-être que la réflexion la plus importante sur les parties prenantes se situe au niveau des conseils d’administration. Il existe une espèce de schizophrénie du salarié « standard », entre sa position de citoyen, qui l’autorise à militer pour sur des sujets sociaux tels le chômage, l’environnement, et le contexte de l’entreprise. Ce citoyen est aussi un consommateur, et, comme nous tous, dans ce paradoxe où il exige les prix les plus bas pour des produits fabriqués en Asie peut-être par des enfants. Ce qui fait que sur ces sujets-là, on a du mal à rassembler. La question de la confiance – ou de la méfiance – se pose entre les partenaires sociaux, comme celle de la marge de manœuvre de la RH vis-à-vis de la direction sur des sujets plus élargis. J’ai vécu l’expérience d’un DRH qui avait accepté mon projet autour de la sensibilisation d’une grande entreprise à la discrimination raciale. Sans se poser de questions de pertes de temps et d’argent. Il avait même obtenu le soutien du directeur, car ce besoin d’autorisation subsiste toujours. Et on met toujours du temps à se rendre compte que de ce qu’on investit pour le long terme, sur des sujets qui ne sont pas cœur de métier.

 

 

Avez-vous réussi à le mener à terme ?
Oui. Cela a mis un certain temps, mais ce projet a permis une plus grande diversité. Aujourd’hui, là où des embauches furent créées, on constate une réussite visible dans les bureaux et les ateliers. Là encore, c’est une question de valeur et de croyances. La diversité est un réel levier de progrès et de développement de l’entreprise, dans tous ses aspects, y compris économiques.

 

 

Pourquoi économiques ?
Le groupe dans lequel je travaille est une caricature de l’homogénéité dans les profils recrutés. Il faut sortir de telle école, avoir tel parcours… tout le monde est formaté au même moule. Plus on rétrécit l’ouverture, plus l’on perd en créativité.

 

 

Tous les DRH suivent-ils ce modèle ?
Après les retraités de l’armée dont je parlais, les recrutements furent extrêmement différents. Aujourd’hui, une diversité prend peu à peu place, même si les fonctions de haut management répondent toujours au même classement des grandes écoles dont il faut sortir pour y accéder. Même si nous incitons à aller voir du côté des universités, en termes de féminisation. Sujet auquel une part plus importante des DRH est sensibilisée. Entre autres parce que mon groupe est en train de perdre une part de ses opératrices : il n’en reste plus que 5% aujourd’hui, les autres étant des ingénieurs. Mais l’université est loin d’être un choix envisagé aujourd’hui, mis à part pour les fonctions de terrain. Ce manque de diversité et d’ouverture se ressent jusque dans l’internationalisation, la pratique des langues, alors que nous sommes un groupe à 80 % européen, et que sa croissance se fera dans les pays hors Europe.

 

 

Que pensez-vous des récents événements à Air France ?
La première réaction, émotionnelle, fut de me dire : « ils ont perdu la tête ». Il y a là-dedans quelque chose d’inacceptable. L’autre remarque, évidemment, c’est d’y voir l’expression d’une colère, probablement dû à un manque de dialogue et d’écoute. Et seule cette écoute peut permettre de progresser vers des solutions. Dans l’entreprise, on conserve toujours ce lien de subordination qui crée un déséquilibre. D’où cette notion de lutte, et de rapport de forces nécessaire. J’ai l’espoir, ou la faiblesse de croire, que les syndicalistes s’affranchissent de ce lien de subordination. Quand on est délégué du personnel, on est d’égal à égal avec la fonction RH ou la direction. Ce lien de subordination doit être dépassé et permettre une expression plus libre, une créativité pour conduire vers un changement. Mais je doute que ce point de vue soit beaucoup partagé. Et on ne pourra changer qu’en visant des cibles un peu folles. Ou alors on se résigne. Mais les solutions existent. La démocratie en entreprise existe par ce biais-là, par l’écoute réelle des pistes d’action.

 

Les DRH d’aujourd’hui seraient-ils finalement, d’après votre expérience moins ouverts aux relations sociales (en raison du contexte ou de leur formation) ? Qu’avez-vous pu constater ? Y a-t-il une évolution ?
J’aime à dire que la révolution doit être psychologique. Le jour où on arrêtera d’être englué dans la peur les uns des autres, et les postures rigides… J’ai eu le bonheur de vivre une situation où une véritable écoute s’instaurait avec le DRH et la direction, et bien souvent les deux sont demandeurs de positionnement, de propositions.

 

Est-ce toujours le cas ?
Au quotidien, j’aurais du mal à répondre, car je ne suis plus, comme auparavant, face à face avec les RH. J’ai été déçue, en certaines occasions, où j »étais prête, avec mes idées, mon énergie, à faire de petits projets, et où j’ai eu le sentiment que cette énergie était refusée. Les réussites qui me viennent en mémoire datent plutôt d’il y a une petite décennie. Les orientations restent extrêmement hiérarchisées dans un groupe comme le mien. Du coup, que va penser le niveau supérieur ? Pour arriver à atteindre un objectif, il faut passer par le niveau le plus élevé pour avancer, sans quoi cela risque d’être un peu plus compliqué. Beaucoup de personnes ont du mal à s’autoriser des marges de manœuvre, alors qu’elles restent possibles. C’est assez ambigu, parce que l’entreprise et les RH sont demandeurs de syndicalistes prenant toute leur place, et qui ont des idées. Dans mon expérience récente, souvent des directions venaient contrarier ce travail-là, en pensant aller dans le bon sens, sans prendre le temps de l’écoute de ces partenaires sociaux, qu’ils soient RH ou syndicalistes.

 

 

Comment les RH font-ils pour faire accepter un plan social, se mettre tous les employés et les syndicats à dos ? Et en gardant le respect des autres salariés ? Est-ce possible ?
En 2012, j’ai vécu une situation presque aussi tendue que celle qu’on a vu à la télévision pour d’Air France. La chemise est restée entière, mais la violence verbale qu’a subie le directeur à l’époque… tout en assumant son rôle de décision. Plusieurs exemples me viennent en tête, y compris parfois, au moment des négociations annuelles. Avec plus ou moins de facilité à écouter et à rester dans une posture bienveillante. Dans ces moments-là, les syndicalistes se posent vraiment la question de savoir s’ils seront en mesure de contenir cette agressivité. Et la fonction RH et les syndicalistes sont dans la même posture : comment arriver à calmer cette colère ? Alors que j’étais relativement en retrait (c’était un de mes amis délégués faisait face à la direction) la dernière image qui me vient était d’une grande violence. Un homme seul face à six cent salariés, dont le porte-parole l’agresse verbalement. Sans son équipe de direction, les RH étant probablement un peu en retrait. Des fâcheux rétorquent qu’ils sont grassement payés pour ça. Ce qui constitue peut-être le fond du problème de la colère des salariés. Qu’est-ce qui justifie ces écarts de salaires, jusqu’à vingt fois supérieurs ? Cette rémunération « soigne-telle » ce genre de situations ? En tous les cas, je suis heureuse d’être à ma place.

 

 

À ce propos, n’avez-vous jamais vous-même été tentée de franchir le pas du syndicalisme à la DRH ? Ou peut-être votre entreprise vous en a-t-elle fait la proposition ?
Oui, c’était un rêve. Un rêve que je ne réaliserai pas. Mais si je l’avais fait, c’eût été en tant que porteur du changement, formatrice plus que RH. J’avais fait cette proposition à un moment où j’avais une reconversion à anticiper. En proposant d’être porteur du changement sur les sujets sociétaux, que je maîtrise plus ou moins. Et qui contribueraient à changer les postures, justement.

 

 

Pourquoi n’est-ce pas allé plus loin ?
Quand j’ai évoqué cette question, le DRH groupe m’a demandé : « votre organisation syndicale ne vous propose pas un reclassement ? » Ce manque d’implication fut une grosse déception. Après, j’ai rencontré le DRH France, la personne responsable de la formation, qui m’ont considéré crédible. Mais soit je n’avais ni le niveau hiérarchique, soit il n’y avait pas de poste. Je me suis donc retrouvée très seule, et j’ai fait d’autres choix. C’est dommage pour le collectif. Parfois, c’est aussi une question de timing : on peut être en avance ou en retard. Mais j’ai vécu pendant dix une expérience de management participatif, dans un petit établissement de province, qui m’a vraiment changée, tant dans mon cercle individuel que professionnel. Mais cette expérience n’a été rendue possible que par une direction et un DRH qui avaient dix ans d’avance sur leur temps, et qui faisaient confiance aux individus et surtout au collectif de travail.

 

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