C’est fait ! L’accord de la COP 21 est signé. Mais est-il porteur de changements réels ? La démarche qui le sous-tend risque de perdre la majeure partie de son impact car elle a évacué le travail et les lieux de son exercice (entreprises, administrations, collectivités, associations). Comme si le travail était contre nature…
Si Clémenceau était encore parmi nous, il nous aurait alertés : « Le climat, est une chose trop grave pour être confiée aux diplomates ». La démarche de préparation et de négociation de la COP 21 repose sur une approche « top-down », caractéristique des grands sommets internationaux, qui préfère laisser dans l’angle mort les acteurs sociaux, qui en sont pourtant les leviers essentiels. Résultat : un texte très ambitieux sur les objectifs (et cela manifeste une réussite incontestable de la COP) mais d’une pauvreté confondante sur les moyens des acteurs. Un exemple caricatural : combien de fois les mots « entreprise » ou « entrepreneur » apparaissent-ils dans les 39 pages de l’accord final ? Réponse : zéro !
Georges Clémenceau nous ramène à la préfecture de police de Paris qui, une fois n’est pas coutume, a fait preuve d’une belle clairvoyance dans son diagnostic de la COP 21. Elle a commencé par demander aux Franciliens de ne pas prendre leur voiture. Elle a poursuivi en leur déconseillant l’usage des transports en commun… En d’autres termes, pour que la Conférence puisse se dérouler dans de bonnes conditions, il faut commencer par éliminer le travail. Les organisateurs nous ont également rappelé ce que même le plus obtus des climato-sceptiques ne peut plus ignorer : les émissions de GES (gaz à effet de serre) sont le fait de l’activité humaine. Or, l’activité humaine est la définition même du travail.
Comment croire que les engagements pris par les pays se traduiront par des réalisations tangibles si les faits générateurs des émissions de GES, c’est-à-dire les processus de travail, sont occultés du débat ? On connaît bien cela dans les entreprises : cela s’appelle la conduite du changement par l’incantation.
Valoriser le potentiel de création d’emploi
A écouter les discours des chefs d’Etat lors de l’ouverture de la COP 21, j’ai constaté avec consternation que l’idée s’est installée, porteuse de résignation, que le progrès écologique serait l’ennemi de l’activité, de l’emploi et de la croissance. Or, cette idée est trop courte car elle sous-estime, voire ignore, la face brillante du développement durable, celle des opportunités (voir « Le développement durable contre l’emploi ? »). Pour lutter contre les émissions de GES, il faut non pas étouffer ou contraindre le travail, mais le transformer.
Je viens de terminer les 500 pages du dernier livre de Naomi Klein (« This Changes Everything ; Capitalism vs the Climate », Simon & Schuster, 2014), qui pose une vue très critique de l’approche traditionnelle de la lutte contre le changement climatique. Elle rappelle cependant que « le potentiel de création d’emplois est énorme. Par exemple, selon un plan proposé par l’organisme américain BlueGreen Alliance, qui regroupe des syndicats et des groupes environnementalistes, un investissement annuel de 40 milliards de dollars en 6 ans dans les transports en commun et les trains à grande vitesse créerait plus de 3,7 millions d’emplois aux Etats-Unis pendant la période visée ».
En France, on a tendance à sous-estimer le potentiel d’emplois que représente la transition écologique. Comme le relève ‘Le Monde’ (« La croissance verte existe-t-elle ? », 24 novembre 2015) la loi sur la transition énergétique considère que 60% des économies d’énergie viendraient du bâtiment-habitat, 26% des transports et 10% seulement du système productif, ce qui est sans doute une erreur majeure. A l’inverse, les Allemands se sont attachés à capitaliser sur ce potentiel. Comme l’a montré Danielle Kaisergruber (« Les green jobs en Allemagne »), on considère que les « emplois verts » y représentent 2 millions de personnes travaillant dans les secteurs de l’environnement et de sa protection, soit 4,8 % de l’emploi total et cette proportion progresse régulièrement.
On a tendance aussi à négliger la contribution qu’apportent les acteurs sociaux et notamment les entreprises, qui pourrait être amplifiée (voir « COP 21 : Mais où sont donc passées les entreprises ? »).
Et l’Europe ?
L’Europe (et les pays qui la composent) s’est révélée incapable de construire un partenariat renforcé en faveur d’un secteur industriel fort sur les énergies renouvelables. Lors de la première journée de la COP 21, les caméras ont montré l’inauguration de ce vaste champ de panneaux solaires à Cestas, la plus grande centrale solaire d’Europe. Alors, finalement, l’écologie c’est du travail ? Mais on voyait aussi l’inscription « Made in China » sur tous les cartons d’emballage dont on sortait les dernières cellules photovoltaïques. L’industrie solaire européenne ? Moribonde. L’industrie éolienne ? Réduite comme peau de chagrin…
L’Europe est à l’origine de la révolution du Web, élaboré dès 1989 au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire). Elle dispose aussi de plusieurs des géants de l’industrie mondiale de l’énergie. Mais elle a raté la convergence de ces deux atouts. Elle n’a pas su franchir, entre l’internet et l’énergie distribuée, les smart grids et les réseaux intelligents, cette nouvelle frontière climatique qu’a dessinée Jeremy Rifkin dans son livre sur « La troisième révolution industrielle » (voir la critique de cet ouvrage par Jean-Marie Bergère, « L’ère post-carbone sera coopérative »). A l’heure où des dirigeants d’Engie nous expliquent que leur groupe ne se définit plus comme un producteur et que la valeur ajoutée se situe désormais dans la distribution, on voit bien que les lignes bougent et ouvrent des opportunités. Gérard Mestrallet nous avait prévenus : « Le monde ancien se désagrège sous le souffle de ce que j’appelle les 4D : dérégulation, décentralisation (éoliennes, solaire et géothermie mettent en cause le système centralisé), digitalisation (numérisation, smart grids), déclin (depuis 2008, la consommation d’électricité et de gaz en Europe est en baisse) » (« Et si la performance sociale insufflait une autre dynamique de croissance ? », Assises de la Performance Sociale, Capitalcom, 12 juin 2013).
Le développement durable en Europe restera-t-il du domaine de l’incantation ? Volkswagen, le fleuron européen de l’automobile nous a montré le décalage abyssal entre l’affichage de bonnes intentions (tout est aussi vert que soutenable et éthique) et les comportements réels, inexcusables (voir l’analyse de Marie-Noëlle Auberger, « Entre-soi et peinture verte : réflexions au sujet de l’affaire Volkswagen »). C’est pourquoi la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) doit absolument accepter de faire moins d’affichage mais de mettre davantage l’accent sur le suivi des engagements.
Le travail sera au cœur de la transformation écologique. En effet, les quatre piliers de l’économie soutenable aujourd’hui sont : la digitalisation, l’économie fonctionnelle, l’économie collaborative et l’économie circulaire. Chacun de ces quatre piliers a le même impact : diminuer l’intensité d’utilisation des ressources pour une production donnée. En d’autres termes, ils fournissent des pistes concrètes pour dé-corréler la croissance économique et la consommation d’air, d’eau, de matières, d’énergie. Chacun de ces piliers passe par une redéfinition du travail. Et chacun apporte des opportunités pour refonder les équilibres concurrentiels au sein des chaînes de valeur. Voilà ce à quoi la COP 22 devrait s’atteler !
PS : C’est fortuitement que je découvre que le titre de cet article, dont j’étais assez fier, est déjà celui d’un livre de Michel Forestier (aux Editions du Panthéon, juin 2014). Michel Forestier étant un compagnon de route de Metis (et aussi l’infatigable auteur du Bloc-notes, « Penser le travail autrement » ), j’espère qu’il ne m’en voudra pas.
Pour aller plus loin :
Naomi Klein, version française: « Tout peut changer; Capitalisme et changement climatique », Actes Sud, mars 2015
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