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danielle kaisergruber

Lors d’une récente émission de radio, j’écoute un « Commissaire de police » et une responsable d’équipe de policiers répondre aux questions des auditeurs. Leurs observations, leurs analyses sur l’évolution de la police portent pour l’essentiel sur leur travail, sur son évolution, sur « ce qui ne va pas ».


Ce qui ne va pas : la bureaucratisation du travail, la proportion de temps toujours croissante qu’ils doivent, à tous les niveaux, consacrer aux tâches administratives – évidemment au détriment du travail de terrain pour lequel ils ont choisi ce métier. Ce qui ne va pas : ces tâches administratives sont surtout des activités de reporting, de production de chiffres, de statistiques, dont on ne sait pas toujours si les résultats seront consultés, analysés, utilisés, et si cette course folle aux indicateurs sert à quelque chose. Il paraît que dans la police on appelle ça « faire de la bâtonnite » : aligner des contraventions ou des interpellations, et des bâtons pour les comptabiliser. Cela va bien au-delà de la « politique du chiffre » mise en place pendant le quinquennat Sarkozy. Ce qui ne va pas : le bureau du « patron » est toujours fermé et ce dernier est de plus en plus loin de ses troupes. Dans le vocabulaire et les habitudes de la police, le « patron » c’est le Commissaire : « maintenant les patrons font de grandes écoles, on les recrute par des concours très difficiles qui exigent beaucoup de connaissances», « il y a un fossé entre eux et nous », « ils ne connaissent pas la réalité du travail, mais ils veulent nous dire comment le faire ». Beaucoup de policiers font aussi remarquer que « les moins expérimentés travaillent en début de carrière dans les lieux les plus difficiles »…un propos entendu dans d’autres services publics.

Lors de cette émission de radio, il me semblait entendre parler un salarié d’une grande entreprise, quelle qu’elle soit, qui fait état des évolutions négatives du « management », ou bien retrouver les propos d’une infirmière qui dit consacrer 40% de son temps à de l’administration, et là au détriment du temps passé avec les patients. Ou bien il me semblait retrouver des extraits des derniers ouvrages de François Dupuy (Lost In management par exemple) qui critique violemment les pratiques actuelles d’organisation et de gestion du travail dans les grandes organisations. Des responsables qui sont de purs managers et non des professionnels devenus encadrants : on retrouve le sujet dans de très nombreuses structures, à l’hôpital par exemple. Un fossé se creuse alors entre la base et les managers, et les perspectives de carrières des salariés se rétrécissent du fait du recrutement de jeunes très diplômés.

La police est une institution : la société la voit ainsi, représentation de l’ordre, de l’Etat et de son droit à utiliser la violence légitime, de l’autorité. « Nos policiers se vivent comme une personnification de l’Etat » (René Lévy, historien et sociologue au CESDIP).

Comme souvent la vision de l’institution gomme et fait oublier la dimension du métier, du travail quotidien, de son organisation et de sa reconnaissance. On pourrait le dire aussi des enseignants. On parle beaucoup de l’Ecole avec un grand « E », mais peu du travail quotidien des enseignants, des multiples activités que le métier recouvre.

Dès que les policiers, on l’a vu récemment, manifestent leurs insatisfactions et leurs demandes : on (les « autorités politiques») y répond par des matériels nouveaux ou comme pour les enseignants, par des postes. Rien d’inutile bien sûr, mais pour des professions confrontées à tous les problèmes majeurs de notre époque, cela ne peut remplacer une vraie réflexion collective (donc dépassant le cadre du dialogue social traditionnel, surtout lorsque les syndicats sont englués dans la gestion) sur les missions, sur les activités et les manières de faire qui déclinent ces missions d’intérêt public et général. De nombreux analystes font la comparaison avec d’autres pays européens et notent à quel point « la manière de faire la police », le « style de police » y est différent (voir le Rapport récent de Terra Nova, Police et population : pour des relations de confiance, novembre 2016 ) avec des conséquences nombreuses sur les compétences à construire, sur le relationnel, la pédagogie.

Il faut mettre le travail beaucoup plus au centre des réflexions et s’interroger sur l’expression « améliorer les conditions de travail ». C’est l’organisation du travail, les fonctionnements, les relations hiérarchiques, les allers et retours entre le terrain et la définition des missions qui constituent les conditions de travail. Pas sûr que des armes nouvelles, ou des films anti-effraction sur les vitres des voitures de police suffisent à résoudre les problèmes.

 

À venir :

Metis consacrera prochainement un dossier au travail des fonctionnaires

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.