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danielle kaisergruber

Cette année, en France, l’universel a le vent en poupe. Et pas de manière habituelle dans le genre rappel des grands principes et des idéaux historiques de la Révolution française mais bien plutôt comme concept opérationnel pour penser un certain nombre de grandes réformes économiques et sociales. Avec notamment : « le revenu universel », mais aussi dans le programme de l’un des candidats : « l’assurance-chômage universelle » et « la retraite universelle ». Sans compter l’idée « d’une année de formation universelle », proposée par des associations et thinks tanks.

 

Depuis quelques semaines, nous nous interrogeons dans les dossiers de Metis sur les fractures de la société et les remèdes à y apporter : quelles sont-elles ? Territoriales, sociales, entre générations ? Pierre Veltz reprend et critique l’idée d’une prédominance de la rupture territoriale entre les métropoles urbaines dynamiques, en plein développement et qui attirent partout dans le monde, et les zones périphériques qui seraient délaissées. Aux Etats-Unis où cette thèse a été appliquée à l’analyse du vote Trump comme en Grande-Bretagne avec le vote en faveur du Brexit, il montre combien les fractures économiques et sociales d’aujourd’hui sont de proximité et peuvent s’inscrire dans des micro-territoires. Thierry Pech souligne l’importance des inégalités « face à l’avenir », des inégalités de destin en quelque sorte, qui vont au-delà des traditionnels partages entre classes et/ou catégories sociales. Dans le même sens, Jean-Louis Dayan relit les chiffres du chômage, de la précarité pour montrer combien les risques sont mal partagés selon le niveau de qualification (ou l’absence de qualification), les types d’emplois occupés, les débuts dans la vie active. Martin Richer approfondit l’opposition entre les emplois exposés à la concurrence internationale, et de ce fait susceptibles d’être ici ou ailleurs, souvent hors des frontières européennes et les emplois « sédentaires » non délocalisables. 

 

Voilà donc quelques-uns des éléments de diagnostic auxquels les propositions des uns et des autres doivent être confrontées. Derrière le feuilleton de l’élection présidentielle française, des idées nouvelles cheminent, sont évaluées, discutées.

Ainsi de l’axe programmatique : « passer à une assurance-chômage universelle » : il peut s’agir d’un grand bouleversement. Passer d’une vision du chômage comme « accident » par rapport auquel il faut s’assurer par un système de cotisations reposant sur le travail à une vision dans laquelle il s’agit d’assurer à tous et de sécuriser des transitions professionnelles. Et cela pour tous ceux qui peuvent en avoir besoin : les salariés du secteur privé certes, mais aussi les indépendants (en particulier ceux qui sont dans des situations d’indépendance non choisies tels certains travailleurs des plateformes numériques), les agriculteurs, les créateurs de petites entreprises qui peuvent se retrouver dans des situations d’échec… Un complet changement de philosophie donc, nécessairement accompagné d’un combat contre les contrats courts et hyper-courts avec un système de bonus-malus pour les entreprises.

Ainsi de la thématique d’une « retraite universelle par points » qui cherche à mettre fin aux dix-sept et quelques régimes particuliers. Dans ces différentes conceptions, le mot « universel » renvoie à l’idée que la société est trop divisée en statuts, en régimes inégalitaires. Un euro de cotisation retraite ou assurance chômage peut-il ouvrir les mêmes droits pour tous ? Sachant que certains sont moins égaux que d’autres, il faut aussi pouvoir introduire dans l’universel des différentiations positives, par exemple, s’agissant des retraites, avec la prise en compte de la pénibilité dans la détermination de l’âge possible de départ.

L’universel est aussi un gage et un ciment de la démocratie, dès lors qu’il ne se concrétise pas seulement dans le bulletin de vote (voir dans Metis, « Le revenu de base ; une utopie démocratique », Jean-Marie Bergère).

Il s’agit bien de construire une nouvelle vision du social en s’attachant à transformer les règles du jeu de la protection sociale, des différentes formes d’emploi et des différentes périodes de la vie.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.