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danielle kaisergruber

En ces temps d’élections (encore trois temps devant nous), nombreux sont ceux qui parlent « au nom de… ». Les instituts de sondage qui, bien que très critiqués, donnent l’illusion « d’exprimer » nos opinions, nos intentions de vote. Les candidats qui répètent en boucle « les Français pensent que… », « les Français veulent que… », « le peuple dit que… ». Comme s’ils étaient dans un autre monde (c’est bien le problème !) et regardaient de loin ces petits Français qui s’agitent et dont ils dépendent, mais qui finalement en si grand nombre, n’iront peut-être pas voter. Ceux qui ont cru que les primaires exprimaient la volonté des « citoyens » en ont largement surestimé la portée démocratique et à l’issue du premier tour, les candidats retenus par cette procédure sont maintenant éliminés.

 

Faut-il voter en calculant, en analysant les résultats des sondages, en les confrontant aux décryptages des messages circulant sur les réseaux sociaux devenus l’arrière-cour des médias ? Voter en s’appuyant sur des « aides à la décision » comme dans les manuels de management ou les théories de la décision politique ? Faut-il voter en oubliant ses convictions, ses préférences habituelles pour « construire » un vote stratège digne du pari pascalien ? Oublier les programmes, leur pertinence par rapport aux problèmes à résoudre, leur réalisme, pour des coups de billards à plusieurs bandes ?

 

Beaucoup de sujets ont été abordés, de nombreuses idées nouvelles ont été proposées et discutées : contrairement à ce qui est souvent répété, je ne crois pas qu’il n’y ait pas eu de débat. Deux grands sujets en particulier ont traversé tous les débats : l’Europe et le travail. Metis Europe dont le fil conducteur est le travail en Europe ne peut pas y être insensible. L’Europe comme bouc émissaire sera encore au centre des débats. Etre ou ne pas être la France au sein de l’Union européenne est une ligne de clivage très forte : elle traduit l’échec d’une certaine Europe. Celle qui a donné « la priorité au droit de la concurrence », la primauté du marché, empêchant stupidement la construction de grands groupes européens ou de politiques fortes d’innovation technologique, traitant le travail comme une circulation de marchandises et d’intérimaires. Celle qui « jointe à l’union monétaire, a conduit à une concentration industrielle dans les pays qui possédaient déjà des avantages comparatifs, au dépérissement dans les régions désindustrialisées, à la divergence macroéconomique au lieu de la convergence attendue » (Michel Aglietta – The Conversation, 11 avril 2017). Sur fond d’Europe des marchés, l’Etat français a laissé tomber pour cause de décentralisation mal conduite, son rôle d’aménageur du territoire, des territoires au pluriel, laissant se créer des périphéries, des villes moyennes et des zones rurales où se cumulent de grandes difficultés. Les Régions dont le poids financier est trop faible, à raison du trop grand nombre de niveaux, n’ont pas suffisamment pris le relais. Alors oui il s’agit bien d’assumer une « puissance publique européenne » avec des Etats qui jouent leur rôle, dont un Etat français fort et des collectivités territoriales bien moins nombreuses, mais puissantes et en responsabilité.

 

Le travail : sa circulation en Europe, sa qualité et sa reconnaissance, la possibilité d’avoir pour chacun des parcours, des chances de sortir des moments de chômage, de sortir de la désaffiliation engendrée par l’inactivité. Quelles règles du jeu pour l’assurance-chômage, pour la formation tout au long de la vie, pour davantage de mobilité (les outils créés, tels le Compte personnel d’activité, existent, il faut les faire vivre…). Quels encouragements pour de nouvelles initiatives d’insertion, quelle liberté de faire, quel « permis de construire » selon le beau titre du livre de Laurent Berger ? La société française est beaucoup moins malade que ce décrivent les tribuns faiseurs de négatif ou les thatchériens en retard d’une guerre. Elle est beaucoup plus riche que ce que laissent à croire « les opinions et récriminations », riche d’initiatives (dans les domaines du travail, de l’emploi et de la formation, Metis en propose régulièrement des récits), riche de compétences et d’expériences, riche de projets à faire vivre et à faciliter.

 

C’est bien cela « la démocratie d’exercice », la démocratie du « faire », à côté de la démocratie de représentation qui va (et doit) nous conduire dans les bureaux de vote !

Post Scriptum : Voter c’est évidemment plus facile au second tour, et il ne peut pas y avoir de doute sur le bulletin à déposer dans l’urne.

Les deux chantiers -considérables- de l’Europe et du travail seront devant nous plus que jamais et demanderont, à l’inverse de ce qui s’est produit pour la Loi « Travail », une approche et une méthode démocratiques.

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.