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danielle kaisergruber

Beaucoup s’accordent à trouver que la flexisécurité voulue pour la France avec les ordonnances « Travail » marche pour l’instant sur une seule jambe, celle de la flexibilité. Le volet « sécurité » de la réforme du modèle social français est à venir : investissement dans les compétences, nouvelle réforme de la formation professionnelle (la dernière date de 2014…) et création de l’assurance-chômage universelle.

Investir dans les compétences est l’impératif de nombreux pays européens soucieux de se doter des bases nécessaires à une économie de la connaissance. C’est un mot d’ordre maintes fois répété dans de nombreuses directives, réunions, et autres séminaires internationaux. Certains pays ne manquent pas d’ambition : ainsi de la Suède dès les années 1997-2002, avec le programme « Knowledge lift » (littéralement « Ascenseur par la connaissance ») ou « Adult Education Initiative ». L’objectif en était d’élever le niveau des salariés peu qualifiés de l’équivalent de trois ans de formation. 10 % de l’ensemble des salariés ont été concernés par ce programme. Le Portugal, dans les années 2006-2011 mis en place un considérable plan de formation destiné à réaliser une montée en compétences générale de la population active, avec « reconnaissance et validation des acquis de l’expérience » pour 1,6 million de personnes. Le Danemark, lors de la récente réforme du service public de l’emploi a choisi de rendre automatiques six semaines de formation (au numérique particulièrement) pour tout demandeur d’emploi dès son inscription et indépendamment des emplois recherchés : compte tenu de la très forte mobilité dans ce pays, beaucoup de personnes sont concernées.

Le « Grand Plan d’investissement 2018-2022 » présenté en septembre propose des priorités. En matière d’investissement dans les compétences (15 Mds d’euros sur 5 ans), il s’agit de réparer la société et préparer l’avenir en même temps avec deux objectifs majeurs : former et accompagner vers l’emploi 1 million de chômeurs faiblement qualifiés et former et accompagner 1 million de jeunes décrocheurs (y compris par la transformation du 1er cycle universitaire). La notion d’investissement est définie de manière inhabituelle et pragmatique comme « la mobilisation temporaire de ressources pour des effets durables et mesurables » dans le Rapport de présentation de Jean-Pisani Ferri. Mettre l’investissement dans les compétences sur le même plan que l’investissement dans l’innovation technologique, traiter de la formation au Commissariat général à l’investissement, ou comment sortir élégamment des circuits habituels de la formation professionnelle !

En effet en matière de formation, les résultats sont souvent bien en retrait sur les espérances : il faut y regarder à deux fois. Qu’appelle-t-on « former » ? Le mot est passe-partout, passeport vertueux pour un consensus social réputé acquis. Qui pourrait s’y opposer ? Le même mot peut désigner une formation obligatoire qualifiante pour exercer un métier (des agriculteurs aux aides-soignantes), ou bien une formation courte (parfois très courte) pour effectuer un geste professionnel, réaliser une tâche. La prolifération normative et réglementaire a fait grossir la part de ces formations obligatoires au sein des dépenses des entreprises. Mais on va aussi parler de formation (en anglais on dit alors « adult education ») lorsqu’il s’agit au terme d’un an ou deux consacrés à se former pour changer de métier ou de faire un saut de qualification (un technicien qui devient ingénieur, une aide à domicile qui devient aide-soignante dans un établissement de santé). Autant que les formations initiales, ces formations en cours de vie professionnelle sont essentielles pour répondre aux besoins des entreprises et plus largement de la société. Plus encore que les études initiales (rappelons que de moins en moins de personnes occupent un poste en rapport avec leurs études), ces formations sont indispensables pour ouvrir des possibles, progresser, évoluer, changer, réaliser des projets de vie, être pleinement dans le monde d’aujourd’hui.

Alors que faire pour que l’investissement dans les compétences réussisse ? Ne pas oublier que l’on ne se forme pas seulement en allant suivre un stage. Innover. Impliquer les entreprises pour que se développent des dynamiques collectives, à côté des démarches d’initiative individuelle. Simplifier ce que l’on appelle le « système de formation professionnelle » en continuant d’assurer des mutualisations pour les PME. « Désintermédier » disent certains, en tout cas rendre possibles des circuits courts, quitte à provoquer des courts-circuits !
Pour les prochaines semaines : A suivre dans Metis un dossier « La formation est-elle un remède miracle ? »

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.