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danielle kaisergruber

L’expression « en même temps » s’est imposée dans les discours politiques, les médias et les conversations de cafés, pour désigner (et faire le design) de mesures et de politiques visant à la fois le dynamisme de notre économie et de l’économie européenne, et les garanties, protections et droits de ceux qui la font : les salariés, plus largement ceux qui travaillent.

 

Aujourd’hui je voudrais utiliser l’expression « pendant ce temps » pour pointer quelques-uns des défis qui, venus de tout près ou de tout loin, se posent à nos sociétés et au monde du travail. Metis continue de suivre, d’analyser, de critiquer ou louer, les réformes sociales « en rafale » (comme les photos sur l’iPhone) qui concernent le travail : réforme de l’assurance-chômage, de la formation professionnelle et de l’apprentissage, cette voie de formation qui mêle l’apprentissage par le travail et l’intégration dans une entreprise et l’apprentissage sous des formes plus académiques, la réforme de l’entreprise qui viendra au printemps 2018. Ces chantiers nous valent bien des discussions dans l’équipe de rédaction de Metis : les lecteurs qui le souhaitent peuvent s’y associer…

Pendant ce temps : l’entreprise chinoise de textile Tianyuan Garments Company a ouvert aux États-Unis une usine de 330 robots tisseurs capables de fabriquer des vêtements de A à Z. Elle n’emploie pas d’ouvriers, mais 400 techniciens. Les robots ont été conçus par une société américaine et l’usine prévoit de fabriquer 23 millions de tee-shirts par an pour Reebok et Adidas. Dans le même temps, Amazon a déposé un brevet pour développer un automate de « couture à façon » : en somme une imprimante 3D pour petites robes et pantalons à faire à la maison comme on aimait le faire il y a longtemps. Certains économistes commencent à parler de « désindustrialisation prématurée » dans ces très nombreux pays émergents où des hommes et des femmes travaillent, mal et dans des conditions très difficiles, mais où ils ont un emploi (Marie de Vergès, « Quand les robots s’éveilleront, les émergents trembleront », Le Monde, 15.09.17).

Pendant ce temps, le train Lyon-Wuhan est arrivé à bon port, là-bas au centre de la Chine dans une ville de 9 millions d’habitants où PSA, Renault et 90 entreprises françaises ont déjà investi. Et ça lui a pris du temps à ce train-là pour parcourir 11 300 kilomètres : 15 jours, mais ce n’est rien rapporté à 50 jours par bateau. Venant de Lyon, passant par Duisbourg en Allemagne, il emportait beaucoup de pièces mécaniques détachées, mais aussi des milliers de caisses de vin de Bordeaux. Un autre train relie dès à présent Londres à Yiwu en Chine, le grand centre de commercialisation « en gros » des multiples objets de nos vies quotidiennes et de celles des habitants de l’Afrique. « Les nouvelles routes de la soie » remplacent les antiques caravansérails par des ports, des aéroports, des gares : hubs multimodaux, interconnectés, d’échange des marchandises faites de capital et de travail tout près ou tout loin. On ferait bien de s’aviser que c’est aujourd’hui les transports et la logistique qui façonnent le monde.

 

Pendant ce temps, à Lodz en Pologne, la ville de la Grande Promesse de Wajda, lui-même formé ici dans une grande école de cinéma, 2 200 ouvriers travaillent dans l’usine Whirlpool qui vient d’accueillir les fabrications qui ne se feront plus à Amiens. Grande ville industrielle, certaines usines textiles y comptaient jusqu’à 20 000 personnes, Lodz a tout perdu au moment du « collapse » de l’Union soviétique : bâtiments industriels en briques rouges désertés, parc de logements qui n’étaient plus entretenus, chômage et pauvreté. Il a fallu plus de vingt ans pour que le travail, le commerce (la plus grande usine transformée en centre commercial et de loisir), la culture reviennent. « Alors aujourd’hui c’est notre tour. Demain, on verra »…

Pendant ce temps, un robot « humanoïde » a reçu la nationalité saoudienne et au pays des femmes voilées, très voilées même, il a forme féminine et rien sur la tête : les robots pour contourner les passions rétrogrades…

 

Pendant ce temps, Orhan Pamuk a écrit et publié (belle traduction en français de Valérie Gay-Aksoy) un gros roman Cette Chose étrange en moi : la vie d’un vendeur ambulant de yaourt et de boza (une boisson légèrement alcoolisée dont les musulmans s’évertuent à dire qu’elle ne l’est pas !). La vie de Mevlut est une vie de travail, elle est rythmée, organisée par le travail, mais tous les attributs de la vie tout court, émotions, sensations, images de la ville, ressentiments, affections, y entrent et la parcourent. Il est impossible de séparer le travail de Mevlut, de sa vie et plus encore de sa ville, Istanbul qui se transforme sans retour en arrière possible.

Alors pendant ce temps, il nous faut apprendre à conjuguer le parfum de la nostalgie (Pamuk le décrit si bien) et le goût de l’avenir.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.