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danielle kaisergruber

Côté météo, le printemps tarde un peu à venir. Côté social « on » nous le prédit agité !

Les réformes sociales vont bon train, et forcément elles plaisent ou elles déplaisent. Pas mal de mécontents en ces temps de froidures qui traînent. Les cheminots. Les jeunes étudiants qui se sentent avec raison maltraités par l’économie et la société. Les vieux qui de toute façon ont le tempérament râleur du « c’était mieux avant ». Les salariés des grands de la distribution qui sont les maîtres du jeu de la vie moderne, et espionnent leurs clients (Ikea), et maltraitent leurs employés, aussi bien Carrefour (ça se voit) qu’Amazon (ça ne se voit pas, car les entrepôts géants qui poussent comme les champignons après la pluie n’ont même pas de fenêtres). Il y a dès lors grand besoin de syndicats pour les représenter et les défendre, pas mal de gens le reconnaissent volontiers et déplorent qu’ils soient si peu actifs et si divisés dans les entreprises.

La réforme qui va s’appeler « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » met à mal le paritarisme de gestion qui s’est construit au fil de très nombreuses lois et de créations d’institutions, de comités, de dispositifs, depuis le printemps 1968 (ce n’est pas un hasard !) et la crise pétrolière du début des années 1970. En modifiant le financement de l’assurance-chômage qui sera davantage alimenté par la CSG que par les cotisations des salariés, le gouvernement veut mettre en place un système « universel », comme il affirme vouloir le faire prochainement pour les retraites (voir l’article d’André Gauron dans Metis, « La réforme des retraites : la revanche de Beveridge sur Bismarck », 26 janvier 2018). L’élargissement de l’assurance-chômage est aussi une manière de répondre aux transformations du travail et des formes d’emploi avec l’emploi indépendant qui certes ne devient pas massif, mais change de nature et le développement des prestations de services à la demande par les plateformes.

 

En modifiant la collecte des « taxes » destinées à la formation professionnelle pour la part mutualisée et la formation des demandeurs d’emploi, qui sera effectuée par l’URSAFF et non plus par les OPCA, la ministre du Travail veut simplifier la proliférante tuyauterie des circuits de la formation.

Derrière le paritarisme (au sens de gestion par les partenaires sociaux de certains dispositifs et de nombreux milliards d’euros), ce qui est visé c’est l’institutionnalisation des syndicats dénoncée depuis de longues années, pensons aux travaux de Pierre Rosanvallon par exemple. La place des syndicats est dans les entreprises, en proximité avec les salariés, en situation de les défendre et de les aider, y compris d’aider les moins qualifiés à construire leur parcours professionnel dans un système qui fait de plus en plus de place à l’initiative individuelle et ne leur sera pas favorable. L’exemple anglais des Learning Representatives (« délégués à la formation ») montre une piste possible d’enrichissement du rôle des syndicalistes sur le terrain.

S’agira-t-il d’un « paritarisme étatisé » pour reprendre l’expression de Jean-Claude Mailly ? Dire que l’État reprend la main est un peu court : il la donne aux partenaires sociaux des branches pour l’apprentissage tout en laissant davantage d’autonomie aux CFA. Il serait d’ailleurs bien mal venu de vouloir tout faire, l’exemple de la SNCF est là pour montrer que l’État a souvent été un mauvais actionnaire (il n’est d’ailleurs pas le seul) en improvisant des décisions contradictoires, parfois davantage liées aux intérêts partisans (c’est-à-dire des partis) qu’à l’intérêt général. Il faudrait quand même bien en 2018 considérer qu’il y a des niveaux différents et des configurations différentes de définition de ce qu’est l’intérêt général et/ou l’intérêt collectif. Et qu’il peut évoluer dans le temps : au début du 20e siècle, plusieurs syndicats et partis politiques proposaient très sérieusement de nationaliser l’industrie du sucre !

La question des « petites lignes » de chemin de fer est ainsi fort mal posée : faut-il forcément des trains partout avec dix voyageurs dedans, des petites gares peu fréquentées partout, ou bien un réseau territorial de transports collectifs variés, cohérent et bien adapté aux besoins des habitants ? Outre que l’ouverture à la concurrence en Allemagne a conduit à la remise en service de 700 lignes locales selon l’Association des usagers des transports, la bonne question est celle de la complémentarité des différentes solutions, de leurs avantages et inconvénients y compris en termes d’environnement (le train n’est pas toujours mieux que le bus ou la voiture partagée). Pourquoi n’a-t-on pas ce débat ? Regardons un peu le paysage : l’État et les sociétés privées s’occupent des autoroutes, les conseils départementaux s’occupent des routes (et renoncent rarement à en construire tant le plaisir des inaugurations reste grand !), les communes et métropoles s’occupent des transports en commun, du co-voiturage et des modes de transport alternatifs, et la SNCF s’occupe de la SNCF.

La réforme de la SNCF mérite mieux qu’une guerre entre cheminots (est-on cheminot dans un bureau ?) et voyageurs. C’est une affaire de négociation d’entreprise et de branche qui devrait porter très largement sur l’organisation du travail : la définition des métiers, les temps de travail, des liens entre qualité de vie au travail et qualité de service, la polyvalence et la transformation numérique : dans l’intérêt de ceux qui y travaillent en ce moment et dans l’intérêt des salariés qui y travailleront demain.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.