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danielle kaisergruberDe retour ou pas vraiment, la pandémie de COVID-19 a laissé des traces profondes sur nos sociétés. Bien davantage qu’on ne le pense en ce début d’été où le désir d’oubli dans la parenthèse des vacances domine.

Les changements du travail relèvent certes d’évolutions de long terme : démographie des actifs dans certains secteurs, vieillissement de la population salariée… Le travail de France Stratégie Les métiers en 2030 est précieux pour s’en faire une idée. Le Covid a aussi accéléré la révolution numérique, le «sans contact», le «à distance», voire la vie dans des univers parallèles et fait ressortir l’impérieuse nécessité de la transition écologique.

Mais la montée de nouvelles exigences par rapport au travail est un véritable renversement de situation, car elle change les rapports de force au sein du marché du travail. Refus d’accepter n’importe quel boulot, refus de maigres salaires pour des travaux difficiles dans des conditions souvent ingrates, refus des petits chefs ! Même plus de jeunes pour passer le BAFA et se faire des vacances comme moniteur/animateur de colonies, en accompagnant des enfants et en se fabriquant une expérience essentielle bien que mal valorisée. Des secteurs entiers dans lesquels les salariés sont avancés en âge : les aides à domicile qui souvent sont venues tard dans leur vie à ce boulot ou bien les employés à temps partiel du secteur de la propreté : là les besoins de recrutement sont déjà importants et deviendront massifs à la fin de la décennie. Pour beaucoup, ce sont des emplois que l’on accepte faute d’autre chose (ou parfois justement parce que l’on a besoin d’horaires souples), ce sont à peine des métiers (voir le dossier Metis « Les métiers du quotidien » et le dossier « Le care : un travail, des métiers, une philosophie »). Ce qui ne signifie pas que l’on ne s’y attache pas !

Et voilà que les jeunes diplômés ne veulent plus des carrières pour lesquelles ils ont fait de longues et coûteuses études (les coûts par étudiant des formations supérieures dans les grandes écoles sont largement plus élevés que les coûts des étudiants des universités !) Renouvelant le geste de la « Révolte des premiers de la classe » (l’ouvrage de Jean-Laurent Cassely), les jeunes ingénieurs d’AgroParis Tech ou de Polytechnique veulent des activités et des missions plus accordées à leurs valeurs, plus en lien avec leur engagement environnemental. Metis reviendra à l’automne sur cette longue période de la « jeunesse » au cours de laquelle s’entremêlent les débuts dans la vie professionnelle, les changements de choix et d’orientation, les changements de lieux de vie (décohabitation par rapport à la famille, transition par la colocation, vie en couple…). L’entretien sur les résultats de l’enquête Générations « Insertion des jeunes : embellie passagère ou vrai tournant ? » ouvre ce dossier et nous en découvrirons d’autres résultats.

Les lieux de vie qui sont aussi parfois des lieux de travail, bien que le télétravail ne soit pas l’idéal pour des jeunes qui ont besoin de s’intégrer dans une équipe et une entreprise, malgré les rituels d’ «onboarding». Je me souviens lors d’un Atelier organisé à la Fonderie de l’image par Astrees, de ma jeune voisine de workshop qui pensait sincèrement que dans n’importe quelle entreprise, on pouvait avoir un emploi et travailler à la maison. Et c’était bien avant le Covid !

La note de Fanny Barbier et Carine Chavarochette « Les jeunes à l’épreuve de l’entreprise, l’entreprise à l’épreuve des jeunes » (Entreprise et Personnel, avril 2022) décrit et analyse des exemples de ces multiples contradictions. Les jeunes les plus autonomes choisissent de voyager en travaillant ou de travailler dans d’autres cadres géographiques : Irène Valdelomar Zurera continue de repérer pour Metis ces nouvelles organisations du travail au Mexique ou en Argentine, qui sont aussi des innovations de l’industrie du tourisme.

Au cœur des nouvelles exigences par rapport au travail, il y a bien sûr la question de sa valorisation par la société : le salaire, les garanties sociales, la reconnaissance, mais surtout la question de la liberté, des choix d’organisation du quotidien et des modes de vie qui vont avec. C’est ainsi que la question de temps de travail fait son retour sous une tout autre forme que la revendication de la semaine de « 32 heures ». Voilà que des pays (l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni…) ont décidé d’expérimentations de la semaine de « 4 jours », mais 4 jours durant lesquels on fait le travail de 5 ! Pour certaines entreprises de la restauration, à condition d’avoir suffisamment d’employés, c’est aussi le moyen de dissocier l’ouverture de l’entreprise et le temps de travail des personnes.

Semaine de 4 jours, working anytime anywhere, journée de télétravail chez soi, ou ailleurs : c’est une véritable déstructuration de temps de travail qui se produit sous nos yeux (pas pour tout le monde, bien sûr, mais produisant des souhaits pour tous !). Metis y reviendra aussi.

Le Covid a changé le travail et va continuer de le changer. En France, et même en Europe, l’État a très largement soutenu les entreprises et les salariés pendant les épisodes de confinement. Face aux besoins d’amélioration des salaires, de l’organisation du travail et du temps de travail, de prise en compte des exigences collectives et individuelles des salariés, il serait temps que les entreprises prennent le relais. Il est de la responsabilité des politiques de le leur rappeler. Les mots comptent.

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.