4 minutes de lecture

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy

Le dernier sommet européen consacre une pratique de négociation à l’œuvre depuis bien longtemps, le jeu des mots. Les technocrates comme les dirigeants européens sont devenus, chacun à leur façon, des experts du compromis sémantique. Il est indéniable que les mots ont un sens, une symbolique, une histoire, des connotations fort diverses au sein des 27 pays de l’Union. Gare à une utilisation hâtive ! Prenez par exemple le mot social, il peut selon les traditions, renvoyer aux bonnes œuvres de l’Eglise ou revêtir des relents de socialisme soviétique, avant d’évoquer un sujet relatif à la société. C’est une réalité avec laquelle Bruxelles compose en permanence, d’où l’émergence d’une sorte de protolangue européenne, exprimée dans les 23 idiomes en usage au sein de l’Union. Cette langue émaille les textes officiels les plus divers, parfois compréhensible des seuls initiés et souvent sujette aux interprétations les plus variées.

Du grand art dans l’expression du flou

Mais lors des sommets européens, les expressions retenues relèvent davantage du domaine de la communication politique. Fait relativement nouveau, les mots doivent être compris par les publics nationaux auxquels ils s’adressent, mais ils doivent être entendus différemment, afin d’épouser au mieux les sensibilités ou susceptibilités nationales. A 27, c’est du grand art dans l’expression du flou.

Il en est ainsi du Ministre des Affaires Etrangères qui reste Haut Représentant de l’Union. Une exigence des Britanniques qui, au nom de l’indépendance bien connue de leur politique étrangère, ne voulaient pas paraître trop engagés par une politique européenne. Ce Haut Représentant de l’Union permet à Tony Blair de rentrer à la maison en déclarant que rien n’a été cédé et à Nicolas Sarkozy de déclarer que ce n’est qu’une question de mots et que cela ne change rien au fond. Jean Claude Juncker souligne quant à lui que le manque de précision des formules du compromis annonce bien des différends lorsqu’il s’agira de rédiger le traité. L’ultime négociation interviendra effectivement au moment où l’on mettra un contenu derrière les mots. Retarder pour mieux quoi… l’avenir le dira.

Une autre bataille sémantique, symbolique et donc plus importante qu’il n’y parait, s’est engagée entre l’Allemagne, la France et quelques autres, pour désigner ce nouveau projet de traité. Le « mini traité institutionnel », déjà recyclé en « traité simplifié » est menacé par le « traité de la réforme » ! L’expression est adoptée sur les sites officiels de la Présidence allemande « vertragsreform » et de la Commission « reform treaty ». On pourrait y trouver l’influence rémanente de Luther en Allemagne, mais il s’agit, au delà d’un problème de maternité allemande ou de paternité française, du sens même à donner à ce traité. Rien moins qu’une inscription dans la logique de la défunte constitution européenne pour l’Allemagne et les 17 autres pays membres l’ayant ratifiée ou, à l’inverse, la prise en compte du non aux référendums français et néerlandais. On pourrait multiplier les exemples. A la demande de la France, la référence à « la concurrence libre et non faussée » a été supprimée des objectifs de l’Union, cette référence restant par ailleurs présente dans le traité. Chacun devrait être en capacité de voir midi à sa porte, car comme l’a dit Nicolas Sarkozy, « les mots comptent ».

Si l’on se parle à nouveau en Europe

Et pourtant … les mots compteraient-ils plus que le fait de continuer à se parler, même en en jouant et avec quelque fermeté ? Un traité plutôt qu’une constitution, ce n’est pas indifférent. Surtout en France, où le concept d’identité nationale, doté d’un ministère du langage et des faits, est désormais associé à l’immigration, ce qui pose un sérieux problème. Cela dit, si l’on se parle à nouveau en Europe, cela n’exclut pas demain des risques de rupture. Le projet de traité n’envisage t-il pas qu’un Etat membre puisse quitter l’Union ? Une précision qui devrait rendre prudents à l’avenir ceux qui seraient tentés de dire non sans avoir à en payer le prix. Au fait, nous n’avons plus d’Hymne à la joie à chanter ensemble, gênant mais pas dramatique, nos édiles ne feront pas le poids face à Beethoven.

Laurène Fauconnier et Henri Vacquin

Print Friendly, PDF & Email
+ posts
+ posts